La fin des renouvelables : une cagnotte cachée

Par Rémy Prud’homme.

Article initialement publié par la revue Commentaire

Ancien élève d’HEC et de l’université Harvard, docteur en économie, Rémy Prud’homme a été directeur à l’OCDE et professeur invité au MIT. Il est aujourd’hui professeur émérite de l’université Paris XII. Dernier livre paru : Transition écologique: le coût des rêves (L’Artilleur, 2024).


Pendant des années, les politiques et les médias ont voulu remplacer l’horrible nucléaire par le merveilleux renouvelable. « Le vent, lui, n’envoie pas de factures », affirmaient les manuels scolaires. Pour faire plaisir à Nicolas Hulot, et à l’Union européenne, Sarkozy a prévu la fermeture de Fessenheim, Hollande l’a décidée, Macron l’a effectuée. Au fil du temps, cependant, la coûteuse absurdité de cette substitution est apparue. On l’a remplacée par une politique d’addition : faire autant ou même davantage d’électricité nucléaire, et en même temps plus, beaucoup plus, d’électricité renouvelable. EDF a cent fois répété que ces deux filières sont « complémentaires ». Il n’en est malheureusement rien, et cette nouvelle politique est aussi absurde, et encore plus coûteuse, que la précédente.


Commençons par tordre le cou à deux arguments bidons : 1) il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier; 2) les renouvelables sont indispensables pour lutter contre le CO2. Le premier est peut-être valable pour le transport d’œufs, ou pour les placements boursiers, mais il ne vaut rien pour les technologies. En matière de transport maritime, par exemple, le bateau à moteur a totalement remplacé le bateau à voile (aux régates près). En matière d’éclairage, l’électricité a complètement éliminé la bougie (aux dîners d’amoureux et aux cérémonies religieuses près). Le second argument est carrément mensonger. L’électricité nucléaire et hydraulique est encore moins carbonée que l’électricité renouvelable.

La France n’a pas du tout besoin d’électricité renouvelable (éolienne et photovoltaïque), comme le montre le tableau 1. La capacité de production, ou, si l’on préfère, le stock de capital nucléaire et hydraulique (et gazier) en place depuis une vingtaine d’années était, en 2024, parfaitement suffisant pour répondre à la consommation de la France, en termes de demande annuelle comme de demande de pointe. La demande (la consommation) a été de 450 TWh, alors que la production effective a été de 454 TWh et la production théorique – celle qui aurait prévalu si le facteur de charge des centrales classiques avait été « normal », c’est-à-dire semblable à celui qui s’observe en moyenne dans les centrales européennes, et qui est la notion la plus pertinente – de 500 TWh.

Répondre à la demande, ce n’est pas seulement répondre à la consommation totale de l’année (mesurée en TWh) : c’est aussi répondre à la demande de puissance à chaque heure de l’année (mesurée en GW), et en particulier à la pointe des soirs d’hiver. En 2024, la pointe a été de 86 GW, soit bien inférieure à la capacité des filières classiques de 105 GW.

TABLEAU 1           Puissance, production et consommation d’électricité par filière, France, 2024

Source : calculs de l’auteur, à partir de données officielles du Réseau de transport d’électricité (RTE).
Note : La production théorique est calculée sous-filière par sous-filière, comme le produit de la puissance par le facteur de charge moyen en Europe. Le facteur de charge est le ratio entre la production d’une installation, d’une part, et ce que cette production serait si l’installation fonctionnait 8 760 heures par an, d’autre part.

2024 est-elle une année exceptionnelle? Pas du tout. Elle est, au contraire, représentative de toute la période 2008-2024. Pendant chacune de ces seize années, la consommation, qui a fluctué, avec une tendance à la baisse, a toujours été inférieure à la production théorique des centrales classiques (550 TWh). Hors renouvelables, la France produisait structurellement davantage d’électricité qu’elle n’en consommait – ce qui se traduisait d’ailleurs par d’importantes exportations. Il en va de même pour les pointes annuelles, qui ont également eu tendance à diminuer. Au cours de la période 2014- 2024 (RTE ne les recense que pour ces années), elles ont toujours été inférieures à 100 GW, et n’ont dépassé 90 GW que durant deux années (en 2016 et 2018), ce qui se situe bien en dessous des 105 GW de la capacité théorique des seules filières classiques.

Une coûteuse bêtise

Les centrales hydrauliques et nucléaires étaient donc là, disponibles, capables de répondre aux besoins du pays et de fournir une électricité bon marché, décarbonée, pilotable et domestique. La bonne politique consistait à se contenter d’entretenir ces centrales. Les renouvelables étaient superfétatoires, et ils n’ont effectivement servi à rien. Mais ce rien a été, et reste, très coûteux. Il a entraîné des coûts directs et indirects. Les seuls coûts d’investissement des installations éoliennes et photovoltaïques s’élèvent à plus de 60 milliards d’euros. La prise en compte des coûts de fonctionnement et de l’inflation porte sans doute ce chiffre à au moins 80 milliards d’euros. Les coûts indirects sont au moins aussi importants. On en évoquera deux (parmi beaucoup). Le premier est causé par la multiplication du nombre de sites de production d’électricité renouvelable, qui rend nécessaire l’extension du réseau électrique, à un coût de plus d’un milliard par an, et en augmentation rapide.

Le second est la conséquence de l’obligation faite au réseau d’acheter en priorité toute la production d’électricité renouvelable. Lorsque la demande n’est pas au rendez-vous, ce qui est très généralement le cas, que faire de cette électricité ? Comment s’en débarrasser ? Il y a cinq solutions, toutes plus coûteuses les unes que les autres : injecter, stocker, exporter, freiner ou débrancher.

Injecter : on peut ignorer le problème, et injecter ladite électricité dans le réseau ; c’est un moyen sûr pour le déséquilibrer, et causer des pannes dévastatrices.

Stocker : on peut stocker cette électricité inutile dans des batteries, ou pour remonter l’eau dans des barrages ad hoc (des STEP) afin de l’utiliser plus tard pour fabriquer de l’électricité utile ; ces solutions sont très coûteuses, très limitées et peu efficaces.

Exporter : on peut essayer d’exporter cette électricité superfétatoire, si l’on trouve des clients. En 2024, la France a exporté quelque 100 TWh d’électricité. Beaucoup s’en réjouissent. Ils font semblant de ne pas savoir que le prix moyen de ces exportations a été de 60 Euros par MWh, soit deux ou trois fois moins que le prix d’achat de l’électricité renouvelable. Nous exportons à 60 Euros ce que nous produisons à 150 Euros : bonne recette pour se ruiner.

Freiner : on peut diminuer autoritairement la production des centrales nucléaires pour faire de la place à l’électricité renouvelable. C’est ce que l’on fait en France. Cet « effacement » entraîne un abaissement du facteur de charge de nos centrales (70 % contre 80 % en moyenne en Europe). Il ne diminue pratiquement pas le coût total de production, qui est essentiellement un coût de capital, mais il augmente le coût unitaire de l’électricité produite : autre recette pour perdre de l’argent.

Débrancher : on peut enfin demander aux éoliennes de tourner sans produire d’électricité, tout en leur payant les kWh qu’elles ne produisent pas (afin de ne pas réduire leur sacro- sainte rentabilité). Cette pratique est courante au Royaume-Uni et en Allemagne, mais pas encore en France. Elle est le comble de l’absurdité : la puissance publique subventionne les fournisseurs pour construire des éoliennes, puis paye ces mêmes fournisseurs pour ne pas les utiliser. Elle paye deux fois – pour du vent, si l’on ose ce mauvais jeu de mots.

Tous ces surcoûts directs et indirects causés par les renouvelables engendrent nécessaire- ment une augmentation des prix de l’électricité payés par les ménages et les entreprises, ou des subventions publiques (elles aussi financées par les impôts des ménages et des entreprises). Les renouvelables sont ainsi la principale cause de l’augmentation des prix de l’électricité en France. Avant 2008, c’est-à-dire avant les renouvelables, les prix (en euros constants) de l’électricité diminuaient en France. Après 2008, c’est-à-dire avec les renouvelables, ils ont doublé. Pour voir une « complémentarité » dans ce véritable casse, il faut beaucoup d’imagination.

Nos gouvernants n’en manquent pas. Partant du principe qu’on ne change pas une politique qui fait fiasco, ils ordonnent pour les années à venir non pas un arrêt mais, au contraire, un triplement des renouvelables – et donc de leurs surcoûts, plus ou moins officiellement estimés à 300 M d’Euros. Hulot a pris sa retraite, mais ses préférences continuent d’inspirer nos planificateurs.

Pour justifier leur choix idéologique, ils avancent que la demande d’électricité en France, qui décline régulièrement depuis vingt ans, va soudainement faire un bond en avant de 60 %. Ils concèdent que la demande « ordinaire » va peut-être stagner autour de 500 TWh par an. Mais deux demandes « extraordinaires » voulues par nos visionnaires au pouvoir, et sponsorisées par les contribuables français, vont prendre le relais : les véhicules électriques, pour 150 TWh, et l’hydrogène, pour 150 autres TWh. Le fait que les Français n’aient pas envie de dépenser davantage pour leur voiture, et que l’hydrogène multiplie par quatre ou cinq le coût de l’énergie sont des considérations subalternes, mises en avant par de petits comptables bien incapables de comprendre la très officielle « complémentarité » entre nucléaire et renouvelables.

La France a besoin de 50 Milliards d’Euros par an supplémentaires pour se réarmer. Elle cherche désespérément où les trouver. 50 Milliards par an, c’est à peu près ce qu’elle a décidé de dépenser pour multiplier par trois nos renouvelables superfétatoires. La voilà, la cagnotte.

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