François Gervais répond aux critiques de François-Marie Bréon

Dans un article intitulé « Le climato-dénialisme n’est pas mort » publié par l’AFIS en février 2019, François-Marie Bréon, Directeur adjoint du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) met en cause le physicien François Gervais pour sa dénonciation des contradictions et incohérences des rapports du GIEC. Rappelons que François-Marie Bréon est ce scientifique qui avait fait savoir à Libération que « la lutte pour le climat est contraire aux libertés individuelles ». En préambule de son article François-Marie-Bréon indique préférer utiliser le terme de climato-dénialisme plutôt que celui de climato-scepticisme (car reconnait-il, « le scepticisme est une attitude positive et à encourager » ) tandis que « le rejet des faits et des concepts indiscutables et bien soutenus par le consensus scientifique en faveur d’idées radicales et controversées » relève du dénialisme. Si l’on comprend bien la rhétorique de M. Bréon, dans le domaine de la science climatique la vérité est définitivement établie et tout travail scientifique envisageant d’autres facteurs explicatifs que les gaz à effet de serre au léger réchauffement observé depuis le début de l’ère industrielle (autour de 1°C) est non seulement inutile mais condamnable. François Gervais a légitimement tenu à exercer son droit de réponse que nous publions ci-dessous.

NB : François Gervais avait déjà répondu en avril 2019 aux questions et aux critiques qui lui ont été adressées dans les locaux du parti Solidarité et Progrès (voir ici la vidéo).

Par François Gervais, professeur émérite à l’Université de Tours

Un Professeur des Universités émérite, ancien Directeur d’un Laboratoire du CNRS (UMR 6157 à l’Université de Tours), auteur de plus de 200 publications dans des revues internationales à comité de lecture,[1] personnellement mis en cause dans les colonnes de l’AFIS,[2] appelle un droit de réponse. Ce qui semble reproché par un membre du dernier carré chargé, avec les représentants des états, de finaliser le Résumé pour les décideurs du dernier rapport AR5 du GIEC, est de ne pas faire la promotion de ce rapport. Dans la continuation du rôle d’expert reviewer de ce même rapport, il m’importe effectivement de continuer la critique de ses contradictions et de ses incohérences. Monsieur Bréon base son argumentaire sur deux exemples. Pour ma part, j’ai donné page 66 de mon dernier livre, L’urgence climatique est un leurre,[3] trois exemples de recommandations que le GIEC a ignorées.

Répondons point par point aux deux exemples. Pour écrire « la tendance à long terme du réchauffement climatique est bien dans la fourchette anticipée par les modèles », Monsieur Bréon s’appuie sur l’accord entre modèles et observations durant la seconde moitié du vingtième siècle. Les modèles de climat ne sont pas construits ab initio. Ils comportent quantité de paramètres ajustables. Ils ont justement été paramétrés pour retrouver les observations de cette période, d’où l’accord évident, mais qui ne les valide pas pour autant ; des écarts à la réalité dans un sens ou dans un autre pouvant se compenser. Pour être validés, il faudrait qu’ils retrouvent aussi les observations antérieures et anticipent les évolutions suivantes. Ce n’est pas le cas entre 1998 et 2012 comme le reconnaît le GIEC. La figure suivante, TS14(a) extraite du rapport AR5, montre que les modèles ne sont pas du tout d’accord entre eux, même pour les courbes d’une même couleur correspondant à un même scénario d’émissions. A quel « spaghetti » faudrait-il alors faire confiance ? Les modèles projettent pour la plupart des températures nettement supérieures aux observations.

GIEC modèles
Source : GIEC AR5

Pour assurer qu’à l’avenir il se trouvera au moins un modèle qui ne diverge pas trop des observations, il faudrait que le GIEC augmente encore la fourchette d’incertitude pourtant déjà de 1,5°C à 4,5°C pour la sensibilité climatique à l’équilibre, incertitude invraisemblable pour une projection fiable. Or, en dépit de moyens considérables, elle ne s’est pas réduite depuis 40 ans.

C’est évidemment cette « pause » qu’il est important de souligner en s’appuyant justement sur une figure extraite du propre argumentaire du GIEC, les autres n’apportant rien de plus que l’information sur la période de calage des modèles. Ce d’autant que la pause observée au début de ce siècle semble bien se prolonger depuis 20 ans si l’on fait abstraction du pic El Niño de 2016 que tout climatologue sait pertinemment être une fluctuation naturelle.

La température est montée de l’ordre de 1°C depuis le début du siècle dernier. Mais le GIEC évite de rappeler qu’elle est montée une première fois de l’ordre de 0,6°C de 1910 à 1945 alors que les émissions de CO2 étaient 6 à 10 fois inférieures à ce qu’elles sont aujourd’hui, car ce serait reconnaître une hausse essentiellement naturelle. Depuis 1945, la température n’est montée que de 0,4°C en trois quarts de siècles, ce qui n’apparait pas franchement le signe avant-coureur d’une catastrophe, et ce en dépit des émissions galopantes. La Terre largement colorisée en rouge à la fin de l’article de l’AFIS pour refléter l’évolution durant les 50 dernières années (période qui entre parenthèse commence comme par hasard durant le minimum observé dans la figure précédente) a connu la même amplitude d’évolution de 1910 à 1945, à une époque où les émissions étaient très inférieures à ce qu’elles sont aujourd’hui.

« Les modèles du GIECreproduisent non seulement la hausse des températures en surface, mais aussi leurs variations dans la stratosphère » prétend Monsieur Bréon.[4] Non, nous venons de voir qu’en surface, en dehors de la période sur laquelle ils ont été ajustés, les modèles ne sont validés ni durant la période précédente (35 ans), ni dans la période postérieure (20 ans après prolongations).

« Dans la stratosphère, une augmentation de la concentration en CO2 conduit à une diminution des températures. » Justement, pourquoi cette diminution n’est-elle pas observée depuis un quart de siècle avec une « pause » qui là aussi se prolonge ? Les modèles l’anticiperaient ? Non, ils ont été « dopés » aux aérosols qui, on le voit au moment des éruptions volcaniques d’ampleur en 1983 et 1992, provoquent un effet réchauffant compensant la diminution de température attendue.Là encore, les modèles ont été ajustés aux observations mais on ne peut prétendre que celles-ci les valident pour autant.

Là où il est encore plus difficile de faire confiance aux modèles, c’est vers la tropopause sous les tropiques. Les modèles y prévoient un « point chaud ». Mais les mesures montrent là encore une platitude désespérante qui ne risque pas de les valider.

Quant au « dénialisme », qu’est-ce qui est dénié ? Que le climat change ? Non. Il a toujours changé. Rappelons qu’ont été qualifiées « d’optimum » des périodes plus chaudes aux époques médiévales ou minoénnes. Que les émissions de CO2 contribuent à une variation de température ? Non, comme le confirment les titres de mes travaux publiés sur le sujet.[5] Dans quelles proportions toutefois ? Toute la controverse est là. Le dernier rapport AR5 du GIEC lui-même reconnait des incertitudes considérables sur la température et sur la hausse du niveau des océans dans son tableau SPM.2. Ce qui en revanche est effectivement dénié c’est que les velléités de politiques de réduction massive des émissions françaises de CO2 changeront quoi que ce soit de mesurable à la température de notre planète. En effet, le taux de CO2 dans l’air est passé de 0,03 % à 0,04 % en un siècle, chiffres qu’il convient constamment de rappeler car même des enseignants l’ignorent. Grâce à cette augmentation, la biomasse végétale s’est accrue de l’ordre de 20 % entraînant un verdissement de la Planète, observé en particulier par satellites, l’équivalent d’un sixième continent vert de 18 millions de kilomètres carrés.[6] La France n’est responsable que de 0,9 % de ce 0,01 % supplémentaire. En reprenant la valeur basse, 1°C, de la sensibilité climatique transitoire (échauffement au moment d’un doublement du taux de CO2 dans l’air) fournie par le GIEC, réduire de 20 % les émissions française comme c’était l’objectif initial du paquet climat européen éviterait à la Planète de se réchauffer de l’ordre de 20 % x 0,01 %/0,04 % x 0,9 % x 1°C = 0,0004°C.

Même si l’on prend la valeur haute de la fourchette d’incertitude du GIEC, 2,5°C, sans doute exagérée si l’on se réfère à l’écart grandissant des projections des modèles face aux observations depuis 20 ans, le réchauffement évité resterait de l’ordre de 20 % x 0,01 %/0,04 % x 0,9 % x 2,5°C = 0,001°C.

Cet écart est toujours trop faible pour être mesurable. Parallèlement, les efforts de la France et de l’Europe sont contrés frontalement puisque les autres pays, à l’exception des États-Unis, augmentent leurs émissions dans des proportions autrement considérables et qui s’accélèrent pour certains comme l’Inde ou la Chine.

N’y a-t-il pas matière à dénier ? Et surtout à tempérer l’anxiété dangereusement propagée en particulier auprès de la jeune génération ? Tout débat est précieux, surtout quand il est mené de bonne foi.


[1] www.univ-tours.fr/site-de-l-universite/m-francois-gervais–235229.kjsp

[2] www.pseudo-sciences.org/spip.php?article3140

[3] www.editionsdutoucan.fr/livres/essais/lurgence-climatique-est-leurre

[4] Quelques liens vers des prises de position de Monsieur Bréon : 

  • www.world-nuclear-news.org/V-Environmentalists-appeal-to-Macron-for-nuclear-0406171.html
  • www.liberation.fr/planete/2018/07/29/francois-marie-breon-la-lutte-pour-le-climat-est-contraire-aux-libertes-individuelles_1669641
  • www.franceculture.fr/ecologie-et-environnement/le-nucleaire-divise-les-specialistes-du-climat-en-france
  • twitter.com/fmbreon/status/1073228039721533440

[5] Gervais, F., 2016. Anthropogenic CO2 warming challenged by 60-year cycle. Earth-Science Reviews 155, 129-135 – Gervais, F., 2014. Tiny warming of residual anthropogenic CO2. Int. J. Modern Phys.B28, 1450095.

[6] Zhu, Z., et al, 2016. Greening of the Earth and its Drivers. Nature Climate Change doi:10.1038/nclimate3004

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