Les progrès de la science des eaux souterraines et des nappes phréatiques vont-ils contraindre à expliquer la montée du niveau des mers selon un nouveau paradigme ?

Un essai de Jim Steele

Traduit par Camille Veyres

Ce texte est la traduction d’un article de Jim Steele initialement publié sur le site wattsupwiththat  sous le titre « Will Advances in Groundwater Science Force a Paradigm Shift in Sea Level Rise Attribution? ».

Jim Steele est directeur émérite  du campus hors murs de la Sierra Nevada, université de San Francisco, auteur du livre « Paysages et Cycles : comment un environnementaliste a-t-il cessé de croire au réchauffement climatique anthropique ? ». 

Les références bibliographiques sont intégrées dans des liens intégrant leur URL et reportées en annexe. Des notes du traducteur (NdT) ont été placées en annexe.

Eaux souterraines

Days, years, centuries, millenia = jours, années, siècles, millénaires

Dans un article de 2002 souvent appelé « l’énigme de Munk », ce chercheur confirmé de la Scripps Institution of Oceanography déplorait que l’on ne sût pas bien expliquer les causes de la montée du niveau des mers : « Cette montée a commencé trop tôt, a une tendance linéaire trop constante, et est trop forte » [1]. Les premiers rapports du GIEC notaient que 25% de la montée du niveau des mers était inexpliqué. Et, en 2012, une équipe internationale de spécialistes du niveau des mers a publié un article « Croissance de la moyenne globale du niveau des mers : le tout est-il supérieur à la somme de ses parties ? » (Cet article Twentieth-Century Global-Mean Sea Level Rise: Is the Whole Greater than the Sum of the Parts? sera par la suite désigné par l’expression « Gregory 2012 »).

Ces auteurs ont essayé d’équilibrer le budget du niveau de la mer en réanalysant et en ajustant ses différentes contributions : fonte des glaciers et des calottes glaciaires, dilatation thermique de l’eau de mer, remplissage des barrages, pompage des nappes phréatiques. Mais l’effet d’un déséquilibre naturel entre la recharge et la décharge des nappes phréatiques n’avaient jamais été prises en compte ; pourtant le volume d’eau douce de ces nappes souterraines est, certes, moindre que celui de la calotte de glace de l’Antarctique, mais représente entre 3 et 8 fois le volume d’eau de la calotte de glace du Groenland.

Au risque de trop simplifier, disons que les effets du stockage souterrain sont différents pour les aquifères peu profonds qui modulent le niveau des mers à l’échelle de temps de l’année et de la décennie et pour les aquifères profonds qui contribuent aux tendances sur des siècles et des millénaires. Les chercheurs prennent progressivement conscience de la dynamique naturelle des eaux souterraines. Comme le note Reager (2016) dans son article « Une décennie de montée du niveau des mers ralentie par l’hydrologie liée au climat » (A Decade of Sea Level Rise Slowed by Climate-Driven Hydrology) l’eau de pluie retourne à l’océan avec un retard variable selon la saison, dont il résulte pendant l’année, une oscillation du niveau des mers de 17 cm ± 4 mm.

Reager (2016) dit aussi que les accroissements du stockage d’eau dans les aquifères lors d’événements météorologiques tels que la Niña [2] ont réduit de 0,71 mm/an la montée du niveau des mers. De même Cazenave (2014) a publié un article indiquant que les observations altimétriques par satellites montrent que le niveau des mers a vu sa croissance ralentir de +3,5 mm/ an dans les années 1990 à +2,5 mm/an sur 2003-2011, et que cette décélération pourrait s’expliquer par un accroissement du stockage dans les nappes souterraines et par la « pause » des températures de l’océan vue sur les données Argo [3].

Des données d’observation de meilleure qualité suggèrent que, lors des années La Niña, la fraction des précipitations globales qui tombe sur les terres est plus grande et passe dans des aquifères qui se déchargent plus lentement, ce qui ralentit la montée du niveau des mers. Au contraire lorsque les El Niño sont plus fréquents, il pleut davantage sur les océans et la montée du niveau des mers est plus grande. A la différence des effets des événements La Niña sur les aquifères peu profonds, les aquifères profonds ont été remplis par de l’eau venant de la fonte des inlandsis qui couvraient une partie des continents lors du dernier maximum glaciaire, et aujourd’hui, cette eau repasse lentement et continûment dans les océans.

La « tendance linéaire trop constante » de l’énigme de Munk et la décharge des aquifères profonds

Des hydrologues travaillant en vue d’une exploitation raisonnable des ressources des nappes phréatiques et de la possible contamination des eaux potables ont fait progresser l’analyse du volume et de l’âge des eaux continentales souterraines et contribué à une meilleure compréhension des effets des aquifères profonds. Gleeson (2015) a trouvé que « le volume total des eaux souterraines dans les deux premiers kilomètres de la croûte continentale est d’environ 22,6 millions de kilomètre cube, deux fois les estimations jusqu’alors admises ». Si ces 22,6 millions de kilomètres cube d’eau douce continentale souterraine passaient dans les océans, le niveau des mers monterait de 62,4 mètres. Diverses analyses isotopiques et des modèles de la circulation des eaux ont permis de dire qu’entre 42% et 85% de toutes les eaux souterraines situées dans le premier kilomètre de la croûte terrestre provient d’eaux infiltrées il y a plus de 11 000 ans, pendant la fin de la dernière glaciation [4].

Ces eaux souterraines ne sont à l’évidence pas encore en équilibre avec le niveau des mers actuel. Comme la décharge des aquifères profonds est principalement pilotée par le volume des espaces poreux dans les roches et les sols (et aussi par la pression en tête), la décharge lente et continue de ces eaux anciennes ne se voit sur le niveau des mers qu’aux échelles de temps du siècle et du millénaire. Et quoique la décharge de l’eau douce des aquifères profonds soit presque négligeable par rapport au débit des cours d’eau de la même région, ces décharges intégrées dans l’espace et dans le temps pourraient représenter cette contribution qui manque aux budgets de la montée du niveau des mers.

Malheureusement il est extrêmement difficile de chiffrer la contribution au niveau des mers de cette décharge des aquifères profonds, car le rapport signal à bruit en est très faible.  Voilà pourquoi les contributions naturelles des aquifères profonds sont souvent soit ignorées soit considérées comme négligeables, sans plus d’examen. Quoique les observations de gravimétrie par les satellites GRACE puissent détecter des changements du stockage d’eaux souterraines, il n’est pas possible de distinguer la décharge des aquifères profonds des importantes variations saisonnières des aquifères peu profonds. Lors de fortes pluies l’accroissement de la quantité d’eau proche de la surface masquera la décharge des aquifères profonds, tandis que pendant une sécheresse, la décharge de l’aquifère profond sera prise pour un effet du manque de pluie.

Cependant l’estimation de la recharge des aquifères par des analyses isotopiques peut donner des informations critiques quant aux vitesses de recharge et de décharge des aquifères.

En utilisant les niveaux anormaux de tritium dus aux essais nucléaires des années 1950 et la datation par le carbone 14, des chercheurs ont classé les durées écoulées depuis le dernier passage de l’eau en surface classées par tranche d’âge de 25 ans, 50 ans, 75 ans et 100 ans. Comme attendu, l’eau la plus récente est concentrée dans les aquifères les plus superficiels et la fraction d’eau récente diminue avec la profondeur. L’estimation du volume d’eau âgée de 25 ans ou moins suggère une vitesse moyenne globale de recharge des aquifères qui équivaudrait à une baisse du niveau des mers de 21 mm/an.

Des chercheurs travaillant sur le cycle de l’eau (Dai et Trenberth) ont fait l’hypothèse fort discutable que la quantité d’eau allant des océans à la terre est a priori exactement compensée chaque année par l’écoulement des fleuves à la mer. Si les estimations faites par les mesures de tritium sont valides, cette compensation entre le cycle de l’eau et le budget du niveau des mers devient encore plus énigmatique. A l’évidence une part significative des précipitations met des décennies ou des siècles pour revenir à la mer.

Ce qui intrigue, c’est que la comparaison du volume d’eau âgée de 50 ans à 100 ans à celui, plus important, d’eau âgée de moins de 50 ans suggère deux scénarios possibles. Que la recharge des aquifères ait augmenté pendant les dernières décennies, ou que les recharges moyennées sur 50 ans soient restées constantes, le vieillissement de l’eau des aquifères s’accompagne d’un écoulement vers l’océan à une vitesse approchant +1,7 mm/an sur le niveau des mers, chiffre très proche des estimations faites par le GIEC de la montée du niveau des mers durant le XXème siècle.

La décharge d’eau des aquifères doit être égale à leur recharge, sinon ça se constatera sur le niveau des mers. Si moins de 21 mm/an [5] retourne aux océans, le stockage naturel fait baisser le niveau des mers. Si la décharge dépasse 21 mm/an, elle fait monter le niveau des mers. Ne pas tenir compte de l’écart entre recharge et décharge interdit d’analyser sérieusement tous les autres facteurs, eux bien plus petits, qui contribuent au niveau des mers.

Une décharge plus rapide pourrait expliquer les contributions manquantes et inexpliquées au niveau des mers signalées par le GIEC et par des chercheurs (Gregory 2012). Plus problématique encore, si la décharge excède la recharge, les contributions de la fonte des glaciers et de la dilatation thermique de l’eau de mer sont peut-être surestimées. Ce qui est sûr, c’est que les estimations actuelles des effets de la fonte des glaciers et de la dilatation thermique, de l’ordre de 1,5 mm/an à 2 mm/an, ne peuvent, à elles-seules, compenser la recharge des aquifères estimée à 21 mm/an à partir des teneurs en tritium.  Alors, que manque-t-il dans nos actuels budgets du cycle de l’eau ?

Quantification de la décharge des aquifères sous-marins (Submarine Groundwater Discharge, SGD)

Le déséquilibre entre recharge et décharge peut être corrigé si les budgets du cycle de l’eau incluent ces nombreuses décharges sous-marines d’eaux souterraines (Submarine Groundwater Discharge, SGD), fort difficiles à mesurer. Des sources d’eau douce ont, depuis longtemps, été observées sur les fonds des zones côtières. C’est pour refaire à coup sûr leurs réserves d’eau douce que des pêcheurs de l’époque romaine ont employé ces sources en Méditerranée.[6] Moosdorf (2017) a compilé leurs emplacements sur le globe et les nombreuses utilisations par l’homme de ces sources sous-marines d’eau douce.

Des études récentes ont mesuré des suintements locaux sous-marins d’eau souterraine pour chiffrer les contributions des solutés et des nutriments aux écosystèmes côtiers. Mais il y a trop peu de ces mesures de décharges des aquifères sous-marins pour que l’on en tire une estimation fiable à l’échelle du globe. Rodell (2015) note que la plupart des budgets du cycle de l’eau ignorent les contributions des sources sous-marines (SGD) d’eau douce, à cause de leur incertitude ; le budget qu’il propose leur affecte l’équivalent de +6,5 mm/an sur le niveau des mers. Mais ce chiffre est trop faible pour compenser les estimations actuelles de la recharge des aquifères.

Mais, avec l’amélioration des techniques, des chercheurs ont récemment estimé que le total des décharges d’eau venant d’aquifères sous-marins (eaux douce et salée combinées) représente 3 à 4 fois l’écoulement total des fleuves, soit un volume équivalent à +331 mm/an sur le niveau des mers. Cependant plus de 90% de ces décharges sous-marines sont de l’eau salée, essentiellement de l’eau de mer recyclée qui ne peut avoir d’effet sur le niveau des mers. Seule la fraction correspondant à l’eau douce ferait monter le niveau des mers. Pour compenser les 21 mm/an de la recharge des aquifères terrestres, il suffirait que l’eau douce fasse 6% à 7% de la décharge des aquifères sous-marins (Submarine Groundwater Discharge, SGD), chiffre tout à fait possible. Site par site, les sources donnant de l’eau douce représentent de 1% à 35% de la décharge et, en faisant la moyenne, un peu moins de 10%. Une décharge d’eau douce d’aquifères sous-marins approchant 7% du total des SGD, équilibrerait l’actuelle recharge des aquifères et, en plus, ferait croître le niveau des mers continûment de 2 mm/an, même sans réchauffement de l’océan ni fonte des glaciers.

Le débit de base de la montée du niveau des mers et le casse-tête des paléoclimats.

Les hydrologues cherchent à quantifier la contribution des aquifères au débit des fleuves et des rivières, ce que l’on appelle le “débit de base”. Pendant la saison des pluies ou de la fonte de la neige, la contribution des aquifères est masquée par un important écoulement en surface et les effets des aquifères peu profonds. Cependant, pendant des périodes prolongées de sécheresse, le -faible- débit restant vient, selon les hydrologues, surtout d’aquifères plus profonds. Des rivières à sec pendant une sécheresse sont, en général, alimentées par de petits aquifères superficiels, tandis que des cours d’eau aux débits faibles mais persistant pendant une sécheresse ne peuvent venir que de grands aquifères. Des concepts analogues peuvent nous servir à estimer une éventuelle contribution en “débit de base” au niveau des mers.

Lorsque la Terre est passée du maximum glaciaire à notre actuel interglaciaire chaud, les inlandsis ont commencé à fondre et le niveau des mers a commencé à monter, partant d’un niveau presque 130 m plus bas que l’actuel (voir le graphique ci-dessous). La fonte des glaces continentales a provoqué une montée du niveau des mers à des rythmes allant de 10 mm/an à 40 mm/an, bien supérieurs au rythme actuel. On admet généralement qu’il y a 6000 ans les dernières calottes de glace avaient complètement fondu, que les glaciers de montagne étaient très réduits [7] et que les calottes de l’Antarctique et du Groenland étaient à leurs minimums. Puis, il y a 5000 ans, la Terre est passée à une phase de lent refroidissement appelée la Néo-glaciation.

C’est une baisse du niveau des mers pendant cette néo-glaciation que devrait prédire les modèles calculant le niveau des mers à partir de la croissance des glaciers et du refroidissement des températures océaniques ; mais des marqueurs suggèrent que le niveau global moyen a continué à monter, à un rythme moindre, certes, puisque le niveau global moyen est monté de 4 mètres en plus (figure 1 ci-dessous). On discute sur la poursuite de la contribution de l’Antarctique et sur le « siphonnage océanique » mais, selon Lambeck 2014le niveau des mers est monté de 3 mètres entre 6700 ans et 4200 ans. L’expliquer par la décharge des aquifères suggère un débit de base d’au moins 1,2 mm/an venant de ces aquifères.

Lambeck

Figure 1 : Trente-cinq mille ans de variation du niveau des mers, selon Lambeck (2014). Niveau des mers et volumes de glace fixées au sol depuis le dernier maximum glaciaire et pendant l’Holocène. Légende originale : solution -d’une équation – donnant le volume des glaces en équivalent niveau des mers et changements de ce volume estimations ponctuelles (en bleu) et estimation par la série temporelle débruitée (ligne rouge). L’insert a une échelle dilatée pour les derniers 9000 ans.

Trente-cinq mille ans de variation du niveau des mers, selon Lambeck (2014). Niveau des mers et volumes de glace fixées au sol depuis le dernier maximum glaciaire et pendant l’Holocène.Légende originale : solution -d’une équation – donnant le volume des glaces en équivalent niveau des mers et changements de ce volume estimations ponctuelles (en bleu) et estimation par la série temporelle débruitée (ligne rouge). L’insert a une échelle dilatée pour les derniers 9000 ans.

Même remarque pour le petit âge de glace de 1300 à 1850 de notre ère : les glaciers de montagne et les calottes de glace de l’Antarctique et du Groenland ont crû et atteint leur plus grande extension depuis 7000 ans. Les températures océaniques se sont refroidies d’environ 1°C. Mais de façon inexplicable, le niveau des mers n’a pas baissé significativement, de l’avis de la plupart des chercheurs qui estiment que les niveaux des mers ont, pendant ce petit âge de glace, été stables avec des fluctuations de quelques dixièmes de millimètre. Cette stabilité contraste nettement avec la récente tendance à la montée que d’aucuns ont attribué à la croissance de la teneur de l’air en CO2. Pourtant la stabilité observée pendant le petit âge de glace défie la physique : des températures plus froides et un stockage accru d’eau dans les glaciers auraient dû provoquer une baisse sensible du niveau des mers. Ce paradoxe apparent est cohérent avec un scénario où, pendant le petit âge de glace, un « débit de base » venant de la décharge des aquifères aurait compensé le transfert d’eau vers les glaciers en expansion. [8]

Après la fin de cette extension des glaciers caractéristique du petit âge de glace, le débit de base venant des aquifères n’a plus été compensé et l’on s’attendrait à ce que le niveau des mers monte, comme il l’a fait aux XIXème et XXème siècles. Ce genre de scénario expliquerait l’énigme de Munk selon lequel le niveau des mers aurait commencé à monter « trop tôt avant que les températures aient crû significativement », par suite d’un réchauffement attribué au CO2.[9]

Il est intéressant de noter qu’un ordre de grandeur de 1,2 mm/an pour le débit de base non compensé des aquifères permet aussi d’expliquer les niveaux des mers bien supérieurs du précèdent interglaciaire, l’Eémien. Des chercheurs estiment qu’il y a 115 000 ans le niveau des mers était environ 6 à 9 mètres au-dessus de celui d’aujourd’hui[10]. Cet interglaciaire a duré 15 000 ans avant le retour d’une phase de glaciation continentale. Notre interglaciaire dure depuis 11 700 ans ; 3 300 ans de décharge des aquifères pourraient expliquer 4 mètres de ces 6 à 9 mètres.

 La contribution récente de l’eau de fonte des glaciers au niveau des mers est-elle surestimée ?

L’eau de fonte de ces glaciers qui reculent depuis la fin du Petit âge de glace s’ajoute évidemment au débit de base des aquifères. Dans quelle mesure ces glaciers ont-ils contribué au niveau des mers ?  Des chercheurs ont estimé qu’au début des années 1900 le retrait des glaciers était plus rapide que maintenant, donc avec un plus fort débit d’eau de fonte. Le rythme actuel du recul des glaciers ne peut donc amener une accélération -éventuelle- de la montée du niveau des mers. De plus, nous ne pouvons pas supposer que l’eau de fonte passe rapidement dans les océans [11]. Une bonne partie de cette eau de fonte passe dans le sol [12], et il est bien possible qu’il faille quelques siècles pour que l’eau de fonte des glaciers du Petit âge de glace affecte le niveau des mers.

A quelle vitesse l’eau des aquifères arrive-t-elle à l’océan ? Des mesures sur l’aquifère Ogallala des grandes plaines de l’Amérique du Nord suggèrent des progressions dans le sol supérieures à la moyenne, de l’ordre de 300 mm /jour, soit, en un an, la longueur d’un terrain de football. [13] Pour parcourir 1000 km jusqu’à la mer cette eau « rapide » mettrait 10 000 ans ! L’eau de la plupart des aquifères circule bien plus lentement. La masse considérable des glaciers continentaux de notre dernier maximum glaciaire a exercé une telle pression qu’elle a fait pénétrer l’eau de fonte dans le sol à des vitesses bien supérieures à celles des recharges actuellement observées. Cette eau de l’époque glaciaire circule encore, lentement, à travers des aquifères tels que l’Ogallala. (A noter, cependant, que le transfert à l’océan a été accéléré par le pompage des aquifères pour les besoins des hommes. Des estimations récentes  suggèrent que le pompage des aquifères dépasse la retenue d’eau par construction de nouveaux barrages-réservoirs, et accélère donc la montée du niveau des mers.) Quelle fraction de l’eau de fonte d’aujourd’hui atteindra l’océan par la lente diffusion de l’eau souterraine ? Voilà une question à laquelle il est fort difficile de répondre).

Mais treize pour cent de la surface des terres dégagées des glaces est couvert par des bassins endoréiques comme le montrent les zones en grisés sur la figure ci-dessous. Des bassins endoréiques n’ont pas de débouché sur les océans ; l’eau qui y entre ne retourne à la mer que par évaporation ou par la décharge ( fort lente ) des aquifères. L’eau de précipitations ou de fonte des glaces déversée dans un bassin endoréique mettra des siècles ou des millénaires pour retourner à l’océan.

Par exemple, en 2010-2011, des chercheurs indiqué qu’un événement La Niña a provoqué une baisse du niveau global des océans équivalente à 7 mm/an. Cette impressionnante diminution a eu lieu avec, au même moment, une fonte de la glace au Groenland et la contribution présumée du débit de base. Comme décrit par Fasullo (2013) les observations des satellites GRACE ont détecté un accroissement du stockage souterrain dû à davantage de pluie tombant sur des bassins endoréiques, en Australie surtout. Quoique les observations satellitaires suggèrent que le gros de ces pluies est resté dans le bassin australien, le niveau des mers a, ensuite, repris sa montée comme le prédirait une contribution en débit de base des aquifères.

 bassins endoréiques

Figure 2. Principaux bassins endoréiques du monde : ils sont coloriés en gris foncé ; les principaux lacs endoréiques sont en noir. Les couleurs sur les autres régions les rattachent à l’océan ou à la mer où débouchent les fleuves qui les drainent. Les lignes noires marquent les frontières entre ces régions. Tiré de Wikipédia.

Pour équilibrer leurs budgets du niveau des mers, des chercheurs assurent que la fonte de glaciers a ajouté environ 0,8 mm/an à la montée récente du niveau des mers. Le recul de la plupart des glaciers pendant le XXème siècle est indéniable, mais nous ne pouvons supposer simplement que toute l’eau de fonte des glaciers est immédiatement passée dans les océans. La plus grande concentration de glace hors Groenland et Antarctique se trouve dans des régions au nord de l’Inde et du Pakistan, dans les glaciers de l’Himalaya et du Karakoram. Le gros de l’eau de fonte qui coule vers le nord entre dans les vastes bassins endoréiques de l’Asie centrale. De même, une partie de l’eau de fonte de la Sierra Nevada s’écoule dans le grand bassin du Nevada et une partie de l’eau de fonte des Andes va dans les bassins endoréiques de l’Altiplano, du lac Titicaca et du désert de l’Atacama.

Il est très vraisemblable que le gros de l’eau produite aujourd’hui par la fonte des glaciers mettra des décennies voire des millénaires pour aller à l’océan et ne peut avoir, déjà, un effet sur les niveaux des mers. Si on surestime la contribution de l’eau de fonte des glaciers au niveau des mers, alors cette « contribution ignorée » au niveau des mers devient plus importante que ce que l’on croyait de prime abord.

Une attribution exacte des décharges et recharges des aquifères limitera les autres contributions au niveau des mers

En combinant des données de gravité de GRACE qui ont mesuré les changements de la masse des océans, des données d’altimétrie qui ont mesuré les changements du volume des océans, et les données Argo sur le contenu calorique des océans, Cazenave (2008) a employé deux méthodes différentes qui ont, toutes les deux, indiqué une contribution de la dilatation thermique des océans de 0,3 mm/an à 0,37 mm/an. Jevrejeva (2008) a calculé une contribution thermique voisine. D’autres chercheurs suggèrent une dilatation thermique de 1,2 mm/an à 1,5 mm/an. (Chambers 2016).

Ces gros écarts révèlent que nous n’avons pas assez de contraintes fiables sur les facteurs qui contribuent au niveau des mers. Une des très grandes incertitudes dans ces études sur le niveau des mers vient des ajustements faits au titre des ajustements glacials isostatiques.

Des chercheurs ont choisi -subjectivement- divers modèles d’ajustement glacial isostatique, préconisant des ajustements entre 1 mm/an et 2 mm/an. Par exemple, quoique les estimations de gravité par GRACE n’ont pas détecté de masse d’eau supplémentaire dans l’océan, Cazenave(2008) a ajouté un ajustement de +2 mm/an, comme le montre sa Figure 1 ci-dessous.

D’autres chercheurs se sont contentés d’un ajustement de +1 mm/an.

masse océanique

Changements de la masse océanique selon GRACE sur 2003-2008. La courbe dont les points sont des cercles est la série des mesures brutes. La courbe dont les points sont des triangles noirs correspond à la série corrigée par ajout d’ajustements glaciaires isostatiques (rebonds post-glaciaires).

Changements de la masse océanique selon GRACE sur 2003-2008. La courbe dont les points sont des cercles est la série des mesures brutes.

La courbe dont les points sont des triangles noirs correspond à la série corrigée par ajout d’ajustements glaciaires isostatiques (rebonds post-glaciaires).

Dans l’article de Gregory (2012) Twentieth-Century Global-Mean Sea Level Rise: Is the Whole Greater than the Sum of the Parts? des chercheurs ont suggéré que le budget du niveau des mers pouvait être équilibré et la « contribution inconnue « » du GIEC expliquée en faisant cinq suppositions :

1) Supposons que la contribution de la fonte des glaciers est plus grande que ce qui était estimé auparavant

Mais des vitesses de fonte supérieures ont été observées dans les années 1930 et 1940 ; il est vraisemblable qu’une partie de cette eau de fonte est encore retenue dans des aquifères, ce qui suggère que la contribution de l’eau de fonte des glaciers a, en fait, été surestimée.

2) Supposons une contribution accrue de la dilatation thermique

Mais les données Argo suggèrent que lacontribution de la dilatation thermique a été en décroissant, et stagne.

3) Supposons que le Groenland a eu une contribution positive au niveau des mers tout au long du XXème siècle

Le Groenland a, sans aucun doute, contribué à des épisodes d’accélération et de décélération du changement du niveau des mers mais, au Groenland, le réchauffement le plus rapide a eu lieu dans les années 1920 et 1930. Des chercheurs avaient déjà suggéré que les glaciers du Groenland ont oscillé pendant le XXème siècle mais ont été stables entre les années 1960 et les années 1990. Malgré une fonte en surface accrue au XXIème siècle avec un record en 2012, ce débit de la fonte a, depuis, décru. Et selon le Danish Meteorological Institute le Groenland a gagné 50 milliards de tonnes de glace en 2017, ce qui aurait dû, en 2017, faire baisser le niveau des mers (NdT : de 0,2 mm environ). A l’évidence le Groenland ne peut expliquer la montée continue du niveau des mers au XXème siècle.

4) Supposons que le stockage (NdT : accru) d’eau dans les barrages réservoirs a été égal au pompage des nappes phréatiques

Mais les contributions nettes, pompage des aquifères moins retenues d’eau et autres modifications du paysage, sont très incertaines. Pour la période 2002-2014 ces « modifications du paysage « » auraient fait baisser le niveau des mers de 0,4 mm/an, à comparer à une estimation du GIEC de +0,38 mm/an sur 1993-2010.

5) Supposons que la contribution résiduelle et inconnue au niveau des mers soit assez pour être attribuée à la fonte de l’Antarctique

Hélas, la fonte de l’Antarctique sert trop souvent de « facteur d’ajustement bricolé » servant à tout pour expliquer l’inexplicable. De plus il n’y a pas de consensus dans la communauté de ceux qui étudient l’Antarctique sur l’existence -ou non- d’effets de l’homme sur le bilan des glaces en Antarctique. Certaines régions perdent de la glace, d’autres en gagnent. Des affirmations de pertes nettes de glace ont été contredites par des affirmations de gains nets par exemple par NASA 2015. De plus les données GRACE d’observation de la gravitation, non corrigées, suggèrent qu’il n’y a pas eu de perte de masse ; toutes les estimations de perte ou de gain de glace dépendent du choix d’un ajustement glacial isostatique par le modélisateur. Nous ne pouvons exclure qu’une décharge d’aquifère ignorée ait par erreur été attribuée à une fonte de l’Antarctique.

Une meilleure prise en compte de la décharge naturelle des aquifères est nécessaire pour réduire l’incertitude sur les contributions au niveau des mers suggérées par des auteurs tels que Gregory 2012.

Plus grande sera la contribution des aquifères, moindres seront les ajustements qui servent à amplifier les contributions de l’eau de fonte et de la dilatation thermique.

Jusqu’à ce que l’on ait une comptabilité plus complète, nous devrons faire nôtres les sérieuses réserves de Munk. Comment pouvons-nous prédire la montée à venir du niveau des mers si nous ne comprenons pas complètement son passé et son présent ?


[1] Commencement dès 1850-1900

[2] Qui se produisent tous les 3 à 6 ans, à la suite d’un événement “El Niño”

[3] Ces bouées robotisées plongent entre la surface et 2000 m de profondeur et, de temps en temps, refont surface pour renvoyer via des satellites les informations sur les température, pression, salinité, etc. mesurées pendant la plongée.

[4] NdT la dernière glaciation a connu un maximum vers 19000 ans BP; l’insolation

[5] Exprimé en volume d’eau équivalent à +21 mm/an sur le niveau des mers soit 360,7 M km² x 21 mm = 7,57 T m3

[6] NdT L’auteur dit “mapped their occurrences ” ce qui semble excessif ; Moosdorf (2017) cite Strabon et Pausanias mais pour des sites particuliers.

[7] NdT L’auteur dit “avaient disparu”

[8] NdT  La plus grande extension des glaciers alpins depuis 11000 ans a été observée en 1860

[9] NdT Rappelons que même le GIEC admet que les fluctuations des températures avant 1975 sont naturelles, puisque les “émissions anthropiques” ont jusqu’en 1950 été très faibles, moins qu’un pourcent des dégazages naturels, et puisque de 1945 à 1975 les températures “moyennes globales” ont diminué de quelques dixièmes de degré Celsius.

[10] Voir http://scholar.google.fr/scholar_url?url=https://rucore.libraries.rutgers.edu/rutgers-lib/39294/pdf/1/&hl=fr&sa=X&scisig=AAGBfm3OBOI51_iNOpUg54MPamdKk3xRLA&nossl=1&oi=scholarr&ved=0ahUKEwisyqK22-nZAhVCB8AKHcmZCM4QgAMIKygBMAA

[11] NdT : Cette assertion est peut-être discutable

[12] NdT : à titre de comparaison les précipitations sont en France de l’ordre de 500 km3/an ; le débit des fleuves en fait moins du tiers, le reste partant par évaporation et évapotranspiration ou servant à la recharge des nappes phréatiques.

[13] Dimensions FIFA d’un terrain de football : 105 m x 68 m


Notes du traducteur

(1) Andrew Kemp, Piecuch Christopher, Klaus Bittemann, Rui Ponte, Christopher Little, Engelhart Simon : Revisiting the effects of river runoff on sea level along the Atlantic and Gulf coasts of the United States https://meetingorganizer.copernicus.org/EGU2018/EGU2018-5612.pdf

(2) Le volume d’eau déversé par les fleuves dans l’océan mondial a été de 39 530 km3 /an (109 mm/an en équivalent niveau des mers) en moyenne sur 1921 à 1985. Plus de la moitié (20 190 km3) est passé dans l’océan Atlantique ; les plus petits écoulements vont vers l’Arctique et l’Océan Indien (4280 km3 and 4530 km3, respectivement). 40% environ de l’écoulement mondial a lieu dans la zone équatoriale, entre 10°N et 10°S. L’eau douce venant de l’Antarctique sous forme d’icebergs et d’eau de fonte est de 2310 km3 /an. (https://www.eolss.net/sample-chapters/C07/E2-02-03-03.pdf)


Bibliographie

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Wikipedia : (https://en.wikipedia.org/wiki/Neoglaciation https://en.wikipedia.org/wiki/Endorheic_basin)

 

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