Du déclin de l’anti-nucléaire au déclin de l’anti-CO2

Rémy Prud’homme

« Le flux les apporta, le reflux les remporte ». La formule de Rodrigue s’applique assez bien à la vague anti-nucléaire qui a submergé l’Occident à la fin du vingtième siècle et au début du vingt-et-unième siècle. Parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets, on peut penser qu’elle s’appliquera également à la furie anti-CO2 qui a sévi avec un décalage d’une vingtaine d’années.

L’électricité nucléaire se développe dans le monde occidental, et particulièrement en France, dans les trente dernières années du vingtième siècle. Elle se heurte à un fort courant anti-nucléaire. Innombrables sont les groupes qui se sont opposés, souvent vivement, à l’électricité nucléaire : la plupart des politiciens (les Ecologistes, les partis de gauche – à l’exception notable du Parti Communiste – les Centristes) ; la quasi-totalité des médias ; beaucoup d’ONG (Grenpeace, Sortir du Nucléaire, les Amis de la Terre) ; d’assez nombreux scientifiques (le Groupement des Scientifiques pour l’Information sur l’Electricité Nucléaire) ; ainsi que les artistes et les philosophes (Garaudy). Ce mouvement est bien illustré par le cas du célèbre journaliste Nicolas Hulot ; tous les chefs d’Etat français cherchent à en faire un ministre ; le président Macron y parvient en 2017 en en faisant un ministre d’Etat, premier ou second dans l’ordre protocolaire du gouvernement. Le cas de la France n’est nullement exceptionnel. Ce courant anti-nucléaire est aussi puissant qu’en France (et parfois même plus puissant) dans les autres pays occidentaux. Il est également très fort dans les organisations internationales, comme l’Union Européenne, ou la Banque Mondiale, qui ira jusqu’à s’interdire explicitement de financer des centrales nucléaires dans les pays pauvres qu’elle assiste.

Ce mouvement a été couronné de succès. En France, il est parvenu à bloquer complètement la construction de nouvelles centrales à partir de 1980, à planifier la fermeture anticipée de 17 centrales en 2017, et à en fermer effectivement deux (en parfait état de marche) en 2020. D’autres pays ont fait pire, comme l’Allemagne, qui a fermé toutes ses (20) centrales. Globalement, entre 1990 et 2020, pour l’ensemble des pays de l’OCDE, la production nucléaire (c’est-à-dire à peu près le parc de centrales) a diminué de 17%.

Depuis quelques années, cependant, Le mouvement anti-nucléaire a perdu de sa force et de son influence. Les opposants à l’électricité nucléaire sont moins virulents. Ils n’ont pas disparu pour autant, notamment dans l’appareil d’Etat : c’est ainsi par exemple que le premier ministre vient de nommer à la tête du puissant Secrétariat Général à la Planification Ecologique un anti-nucléaire patenté qui a fait carrière aux côtés de Marine Tondelier et d’Eric Piolle, deux célèbres militants de la sortie du nucléaire). Mais dans le même temps, le gouvernement français semble avoir décidé (sinon financé) la construction d’au moins six nouvelles centrales nucléaires. En Europe, une dizaine de pays, (dont la Suède, la Tchéquie, la Pologne, le Hongrie) ont également décidé de construire des centrales nouvelles. La Commission Européenne, qui en 2021 encore se refusait à considérer l’électricité nucléaire comme une électricité « verte » et à l’aider, a complètement changé son fusil d’épaule, et prévoit maintenant des investissements considérables (240 milliards d’euros) dans la construction de centrales. La Banque Mondiale suit exactement le même chemin, et vient de lever son interdiction d’aider les pays qu’elle assiste à investir dans le nucléaire. On peut s’interroger sur les causes de ce revirement caractérisé. Mais on ne peut pas le nier.

La question se pose alors de savoir si un revirement comparable va se produire pour l’anti-CO2. La haine du CO2 a en effet été aussi répandue et aussi violente que la haine du nucléaire. Les deux faisaient la paire (ce qui était d’ailleurs une contradiction bizarre, puisque le pro-nucléaire était le meilleur ami de l’anti-CO2 – mais la haine a ses raisons que la raison ne connait point). Les ressemblances entre ces deux haines sont frappantes.

Tout d’abord, elles sont le fait des mêmes agents. A peu près tous les anti-nucléaires évoqués étaient anti-CO2 ; et réciproquement. Les anti-CO2 étaient même davantage organisés au niveau international, puisqu’ils bénéficiaient d’un soutien sans faille des Nations-Unies, et des organisations qui en dépendent (GIEC, COPs).

Ensuite, dans les deux cas, le mouvement et ses conséquences sont largement limités aux pays développés. Pour le nucléaire, si la production des pays de l’OCDE entre 1990 et 2020 a diminué, celle des pays hors OCDE a dans la même période considérablement augmentée (de 150%). Il en va de même pour le CO2, dans des proportions comparables. Pour la même période, les émissions de CO2 des pays de l’OCDE ont diminué de 8%, cependant que celles des pays hors OCDE ont augmenté de 120%. Ces haines sont clairement des haines de riches.

Troisièmement, l’impact de ces mouvements sur les politiques économiques et sociales ont été également considérables (là où elles ont été mises en œuvre). Plus encore pour le CO2 que pour le nucléaire. La réduction des rejets de CO2 est devenue un impératif catégorique, qui façonne toutes les politiques. Le « ça va réduire les rejets de CO2 » est l’argument massue irréfutable qui balaie analyse, réflexion, et calculs.

Quatrièmement, les conséquences économiques et sociales de la lutte contre ces deux ennemis publics n°1 sont également très négatives. L’anti-nucléaire, dans un pays comme la France, a entrainé un doublement des coûts et des prix de l’électricité (en termes réels, avec ce que cela implique pour l’appauvrissement des consommateurs, la compétitivité des entreprises, et l’équilibre des finances publiques. L’anti-CO2 affecte fortement la productivité : plus un pays « décarbone », plus faible est le progrès de la productivité. Le Rapport Draghi souligne que la productivité augmente de 5% par an en Chine, de 3% aux Etats-Unis, et de 1% en Europe. Il oublie de mentionner que la Chine ne décarbone pas du tout, que les Etats-Unis décarbonent peu, et que l’Europe décarbone beaucoup. Le financement des politiques anti-CO2 qui repose largement sur des dépenses publiques, creuse les déficits et augmente les dettes.

Ces similitudes ne garantissent évidemment pas que le reflux de l’anti-nucléaire va faire école et être suivi d’un reflux de l’anti-CO2. Mais elles en suggèrent la possibilité. Des signaux faibles vont dans le même sens. Beaucoup de pays mettent la pédale douce sur les plus absurdes ou les plus régressives des mesures prises au nom du « combat » contre le CO2. Le secteur financier privé, qui se voulait au premier rang de ce glorieux combat, fait ses comptes, et met de plus en plus d’eau dans ce vin-là. Les responsables des finances publiques, guidés par l’impérieuse nécessité de réduire les dépenses des Etats, lorgnent sur les gaspillages engendrés par l’anti-CO2 et les gisements d’économies offerts par ce secteur. L’anti-CO2, comme l’anti-nucléaire, est un luxe de riche qu’un occident en crise ne peut plus guère se permettre.

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8 réflexions au sujet de « Du déclin de l’anti-nucléaire au déclin de l’anti-CO2 »

  1. Pas grand chose à dire si ce n’est que le terme
    « responsables » des finances publiques est inapproprié. Irresponsables eut été plus adapté. On ne doit pas cependant s’étonner que la droite ait suivi toutes ces années l’exemple d’une gauche prompte à dépenser sans compter l’argent des autres, tant Il est vrai que l’électoralisme n’a rien voir avec l’intérêt général… La « conversion », prétendue, d’un Chirac à la sauvegarde de la planète qui brûle est du même tonneau que son gaullisme, opportuniste. Pour preuve le dynamitage par ce feu ci-devant pompidolien, des 2 piliers du gaullisme historique, à savoir , premièrement, par son adhésion à la thèse de la continuité de l’état français sous le régime de Vichy, exprimée lors de sa demande de pardon pour la rafle du Vél.d’Hiv., alors que la France selon De Gaulle était à Londres, et deuxièmement par le remplacement du septennat par le quinquennat sonnant ainsi le glas de la Vème république. Si demain, la plume au c…a le vent en poupe (!) électoral, n’en doutons pas, les paons seront nombreux…

    • Savez-vous par qui la fin de l’Armistice et la rentrée dans la guerre aux côtés des américains a été actée ? Pas par De Gaulle ni par quelqu’un de la France Libre, non, elle fut le résultat des pourparlers engagés entre l’amiral Darlan et le général américain Clark à Alger en novembre 1942, sanctionnés par leur signatures respectives, Darlan au nom du gouvernement légal de la France et Clark au nom de celui des Etats Unis, les « Accord Clark-Darlan ».
      Darlan avait reçu mandat du Maréchal Pétain par un canal secret que les allemands ne pouvaient intercepter ainsi rédigé : « Vous avez toute ma confiance. Je vous confie les intérêts de l’Empire ». Aucun de militaires présents en AFN ne pouvait donc discuter ces accords.
      La France ce jour-là n’était manifestement pas à Londres .
      Voir: http://pages.livresdeguerre.net/pages/sujet.php?id=torch&su=234

  2. Méfions-nous quand même : si l’anti CO2 diminue, alors l’intérêt du nucléaire peut diminuer donc l’anti nucléaire peut augmenter.

  3. «  » » » » » ». L’anti-CO2, comme l’anti-nucléaire, est un luxe de riche qu’un occident en crise ne peut plus guère se permettre. » » » » » » »
    Quand on arrêtera l’anti CO2 pour combattre l’anti nucléaire , on aura fait des progrès voire par exemple ce que aura couté la guerre en IRAN Israel en CO2; faudrait faire comprendre à ces gens qu’ils s’équipent de centrales nucléaires plutôt que de bombes nucléaires ; cela leur permettra de nous vendre un peu plus longtemps leur trésor pétrolier

  4. L’analyse de Rémy Prud’homme voit juste dans l’affirmation d’une relance actuelle de l’industrie électro-nucléaire un peu partout dans le monde (ce que nie pourtant quelqu’un comme Hervé Le Treut), mais elle n’en explore pas complètement les causes ou les modalités.
    L’opposition à l’industrie électronucléaire à partir des années 1960 dans les pays occidentaux a pour point de départ une opposition au nucléaire militaire prônée par les « épiphanistes » du Comité d’urgence des scientifiques atomistes (Einstein, Szilard, Pauling…). Cette opposition a ensuite été contournée par la politique américaine de « Atoms for Peace » (1953) à destination du domaine civil.
    Mais les problèmes croissants suscités par l’industrie électro-nucléaire (dangerosité intrinsèque, déchets radioactifs, coûts et surcoûts, accidents qui se multiplient, renforcement sécuritaire, lien avec le géopolitique militaire…) entraînent un important mouvement anti-nucléaire dans les pays occidentaux (impossible dans les régimes totalitaires soviétiques). Ce mouvement est peu à peu anéanti par une sévère répression (cf., en France, la manifestation de Creys-Malville en 1977 : un mort, des mutilés, des dizaines d’arrestations…) et par le choix stratégique des politiciens écologistes.
    Abandonnant l’opposition frontale, le mouvement écologiste s’engage en effet à fond dans l’arène électoraliste, tout en s’appuyant sur l’opposition anti-nucléaire pour progresser. Mais à partir du moment où il choisit cette voie, il doit — comme toute l’histoire politique de tout temps et de tous les pays le montre — passer des compromis pour se développer et gouverner. Quand il entre au gouvernement, il doit ainsi se plier à la logique de l’Etat : soit, en France, l’adhésion à la dissuasion nucléaire, donc, fatalement, le soutien à un programme nucléaire civil ; soit, en Allemagne, une adhésion à l’OTAN (en 1999 avec le ministre vert Joschka Fischer qui soutient le bombardement de Belgrade, ce qui, au passage, crispe les autorités russes et un certain Poutine).
    C’est à ce moment — les années 1985-1995 — que la question climatique prend toute son ampleur, d’autant que, après l’épisode du « global cooling » (en gros de 1955 à 1975 dans l’hémisphère boréal), se profile le « global warming » (on met ici de côté le problème posé par la moyennisation et la globalisation qui masquent les différences zonales ou régionales). L’explication de ce « global warming » est corrélée à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère (triomphe de la thèse de Bert Bolin qui devient le premier président du GIEC (1988-2002).
    En découle la chasse au carbone, la décarbonation et la nouvelle promotion tout azimut de l’électricité (de la voiture à la climatisation prônée comme une solution lors des pics de chaleur, en passant par les data centers de l’I-A ou autres qui consomment énormément d’énergie). Elles conduisent tout droit à la relance de l’industrie électro-nucléaire. C’est donc fort logiquement que le GIEC affiche son soutien au nucléaire, de concert avec ses experts qui, comme par hasard, et pour ne prendre que l’exemple de la France, ont des liens étroits avec le Commissariat à l’énergie atomique (Jouzel, Masson-Delmotte, Le Treut, Vimeux…). Sans parler de ceux qui ne sont pas au GIEC mais qui soutiennent son orientation électro-nucléaire (Jancovici, Bréon, Joussaume, Ramstein, Duplessy, la liste est très longue…)
    La politique est chargée de gérer la contradiction entre les pro-nucléaires (historiques ou nouveaux) et les anti-nucléaires qui veulent quand même décarboner grâce au nucléaire. Cela passe par différentes stratégies que chacun évaluera selon ses convictions. Il semble néanmoins que, pour les partisans du nucléaire (civil et nucléaire), il y a davantage d’intérêt à faire entrer un Hulot au gouvernement qu’à le laisser dehors, et ainsi de suite.
    La gestion de la contradiction passe par le dosage plus ou moins subtil du « mix énergétique » (où l’électro-nucléaire est désormais considéré comme du « renouvelable », comme si l’uranium provenait de la lune et non pas des mines du Niger, du Kazakhstan, d’Australie ou d’ailleurs). Ce mix est couplé à la « transition énergétique » (alias « écologique »). Le dosage entre chaque composante résulte des rapports de force qui dépendent largement des négociations faites lors des COP encadrant le « marché du carbone » coté en bourse (Chicago, Londres, etc.), triomphe absolu du capitalisme vert.
    Evidemment, les pro-nucléaires se réjouissent des contradictions écologistes, mais cela ne résout pas le problème de fond posé par Windscale, Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima, etc., sans oublier l’Iran, la Corée du Nord, les pays qui ont déjà l’arme atomique ou qui peuvent l’avoir rapidement (Israël, Japon).

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