La destruction de la biodiversité a-t-elle engendré le Coronavirus ?

Par Christian Lévêque (*)

Article initialement publié dans la revue European Scientist

(*) Christian Lévêque est directeur de recherches émérite de l’IRD (Institut de recherche pour le développement), président honoraire de l’Académie d’agriculture de France et membre de l’Académie des sciences d’outre-mer. 

Le coronavirus vient rappeler brutalement aux citoyens abusés par les discours des mouvements conservationnistes que la biodiversité est également une source permanente de danger. L’histoire de l’humanité a été un combat permanent pour survivre face aux méfaits de la nature, jalonnée de périodes de mortalités massives du fait des épidémies. Les virus comme les bactéries et les parasites de tout poil qui nous empoisonnent la vie c’est de la diversité biologique. Les plantes et champignons vénéneux, les serpents et les vecteurs de maladies parasitaires, les parasites des arbres et des cultures, c’est aussi de la diversité biologique Nous dépensons d’ailleurs des sommes considérables pour lutter contre les grandes endémies (à l’exemple du paludisme) ou pour vacciner les populations. Sans compter la lutte contre les ravageurs des cultures et les maladies de nos animaux domestiques. Dans ce contexte, laisser croire que l’on peut vivre « en harmonie » avec une nature uniquement pourvoyeuse de biens et de services est de la pure utopie, ce que tout citoyen censé peut comprendre.

Une course aux armements

De tout temps, de nouvelles maladies sont apparues car nous savons que les virus mutent en permanence et que les bactéries et les parasites développent des formes de résistance aux médicaments ce qui nous amène à rechercher sans cesse de nouvelles molécules dans ce que des parasitologues ont appelé la « course aux armements ». La dernière grande pandémie que l’on a appelé la « grippe espagnole », qui a fait des dizaines de millions de morts à la fin de la première guerre mondiale, était due à un virus produit de la recombinaison d’une souche humaine de la grippe saisonnière avec des gènes de virus aviaires. Ainsi naquit une souche H1N1 dans les années 1917 ou 1918, qui se rappela à notre bon souvenir en 2009…. Au cours de l’année 1957-1958, une nouvelle souche de virus de type H2N2 apparait en Asie (la grippe asiatique). Elle serait issue d’un réassortiment entre H1N1, le virus humain, et un virus aviaire. Cette pandémie tua 2 à 3 millions de personnes dans le monde. Dans les deux cas, les oiseaux sauvages sont en cause, à la fois dans la recombinaison des virus et dans leur transport. Il en est de même pour les différentes épidémies de grippe aviaire qui ont affecté nos élevages. Alors en toute logique sanitaire devons-nous continuer à protéger les oiseaux sauvages ? C’est peut-être provocateur, mais ce que je veux dire, c’est que nous devons éviter un discours simpliste sur « la biodiversité » !
L’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) que la Chine a connue en 2003 avait déjà été causée par un coronavirus. On spécule encore sur le fait que les chauves-souris seraient le réservoir naturel et la civette l’hôte intermédiaire consommé par l’homme. Mais les chauves-souris sont impliquées dans de nombreuses autres endémies telles que Ebola par exemple. Des scientifiques ont d’ailleurs montré que les chauves-souris sont porteuses de nombreuses maladies potentiellement réémergentes chez l’homme et les autres animaux. On y a découvert des dizaines d’espèces de paramyxovirus sous des formes génétiquement très proches de paramyxovirus que l’on pensait spécifiques à l’homme, ce qui, disent-ils, compromet les espoirs d’éradication de certaines maladies humaines comme la rougeole, mais aussi la rage… Bref, protéger les chauves-souris c’est en quelque sorte entretenir une bombe à retardement !

Protéger la nature : à quel prix ?

Protéger les zones humides c’est très tendance, sauf que … ce sont les principaux foyers de grandes endémies en milieu tropical. Si nous avons fait disparaitre des zones humides en Europe c’était notamment pour se protéger de la malaria (les miasmes pour ceux qui s’intéressent à l’histoire..). Certains s’en indignent, mais en l’absence d’autres alternatives fallait-il laisser les populations dépérir, à l’exemple de la maladie des « ventres jaunes » qui décimait les Solognots ? Il faudrait que les mouvements conservationnistes répondent clairement à cette question qu’ils éludent trop souvent : comment gérer la conservation de la biodiversité tout en protégeant la santé des hommes, des animaux domestiques et des plantes cultivées ? Autrement dit, les hommes ont-ils la légitimité de se protéger aussi de la nature ? Et alors seulement on pourra envisager nos rapports à la nature sur des bases réalistes et non pas sur des discours hors sol et des mensonges par omission ! Protéger les oiseaux c’est certes important, et dans un monde idéal on pourrait imaginer associer des programmes de protection et des programmes de santé publique pour protéger les populations locales. Mais en avons-nous les moyens ? C’est affligeant, mais la réponse est non !

COVID 19 ….La revanche de la nature ?

Des portes paroles des mouvements conservationnistes ont entrepris ces derniers jours de nous faire croire qu’il existait une relation entre l’événement COVID 19 et la destruction de la nature par l’homme…. Le message subliminal est simple : c’est parce que les hommes détruisent la biodiversité que nous libérons ces forces obscures que sont les virus… donc il faut protéger les régions encore sauvages que nous détruisons de manière irresponsable ! Ne nous y trompons pas, c’est une manière d’occulter le rôle de la biodiversité dans cette pandémie, en reprenant la litanie bien connue de la culpabilité de l’homme ! Sauf que… il n’y a aucune démonstration convaincante de ces affirmations qui relèvent de la spéculation. Ce qui semble ressortir en revanche c’est que ce sont les situations de forte promiscuité comme on en rencontre en Asie, entre les hommes et les animaux domestiques qui servent de relai avec les animaux sauvages, qui semblent favoriser l’émergence de nouveaux virus. Mais surtout, s’il y a recrudescence des endémies dans le monde, c’est en grande partie lié au fait que les échanges internationaux qui se sont accentués pour les hommes et la biodiversité permettent la circulation rapide de pathogènes qui restaient autrefois localisés. Le phénomène est bien connu chez les plantes si l’on se réfère aux nombreuses maladies apparues sur nos arbres et dans nos cultures.
En réalité la litanie des ya-ka-fau-kon répétée à l’envie par les adeptes de la conservation de la nature s’apparente à des incantations qui font l’impasse sur les causes réelles de l’anthropisation de la nature. Comme si les hommes détruisaient les écosystèmes par simple malveillance ! Ce qui amène beaucoup d’hommes à exploiter la nature plus que de raison, c’est la surpopulation, c’est la pauvreté, c’est la nécessité de se procurer de l’argent pour vivre tout simplement ! Ce n’est pas seulement l’économie capitaliste qui est en jeu, même si elle joue un rôle important ! Nier cette évidence c’est pratiquer une politique de l’autruche !

Eviter la posture idéologique

Dans un tel contexte il n’y a pas de solutions opérationnelles simples pour remédier à l’érosion de la biodiversité. On aimerait connaitre les solutions proposées par les conservationnistes pour pallier ces problèmes de fond ! Car se cantonner dans la stigmatisation sans proposer de solutions concrètes acceptables par les citoyens n’est pas une attitude responsable. C’est une posture idéologique… L’idée de nous protéger de ces pandémies en contrôlant les populations vectrices d’oiseaux ou de chauves-souris serait une voie possible, celle qui nous a permis de contrôler la rage en Europe. Mais est-elle admissible pour les milieux conservationnistes alors que reconnaître que la biodiversité est aussi source de méfaits passe déjà pour une insanité ? Pour faire écran il vaut mieux reprendre l’antienne de la destruction de la biodiversité par les hommes, maintes fois répétée, et laisser croire insidieusement qu’elle est responsable de ces pandémies. Pourtant, beaucoup sont ceux qui aimeraient trouver des accommodements entre préservation intégrale ou éradication. Notre rapport à la nature ne peut s’envisager que dans cette recherche de compromis entre les deux visages de la biodiversité et non pas dans une posture idéologique qui assimile la nature au « paradis perdu ». Quant à ceux qui nous disent qu’il faut « laisser la nature reprendre ses droits », c’est faire semblant d’ignorer qu’elle ne manquera pas rapidement de faire valoir sa face obscure. Autrement dit c’est totalement irresponsable !



Christian Lévêque est également l’auteur de l’ouvrage La Biodiversité, avec ou sans l’homme aux édition Quae

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