Décarboner, c’est rentable – Absolument

Rémy Prud’homme

« Décarboner, c’est rentable – Absolument ». Ce slogan de l’ADEME (une agence gouvernementale bien dotée et bien militante), est répété ad nauseam sur les ondes de nos radios. Il maltraite le français et la vérité. Le français : on ne sait pas si « absolument » se rapporte à « décarboner » ou à « rentable », et dans les deux cas il ne veut absolument rien dire. La vérité : loin d’être rentable, décarboner est ruineux. L’exemple du site sidérurgique d’Arcelor Mittal à Dunkerque le montre avec un triste éclat.

Ce site est une page glorieuse de l’industrialisation de la France de l’après-guerre. Les technocrates et les politiciens de l’époque, prenant conscience de la fin du minerai de fer de Lorraine, firent le pari de créer une industrie sidérurgique à Dunkerque (et à Fos) alimentée par le minerai de fer importé. Pari gagné. L’usine, propriété d’Arcelor Mittal, une multinationale indienne, est le plus grand haut-fourneau d’Europe, emploie 3000 salariés, et produit une bonne partie de l’acier utilisé en France. Elle rejette du CO2. Voilà le hic.

Fin 2023, le gouvernement de Mme Borne signe en grande pompe 32 « contrats de transition énergétique » visant à réduire fortement les rejets de CO2 de 50 sites industriels.  Dunkerque fait partie du lot. La décarbonation du site coûtera environ deux milliards d’euros, dont un milliard payé par le contribuable[1]. Les ministres se congratulent. La presse, unanime, applaudit des deux mains et des deux pieds. Le dithyrambe des Echos mérite d’être cité. Il est titré : « Enquête [sic] – A Dunkerque la transition écologique est déjà en marche », et précise : « La nécessité de s’attaquer aux émissions des CO2 aurait pu laminer le territoire nordique. Elle lui donne au contraire une incroyable dynamique ». Les Echos est un journal sérieux et modéré : imaginez ce qu’écrivent les publications militantes et excessives.

En décembre 2024, un an plus tard, Arcelor-Mittal jette l’éponge. Il se rend compte que la décarbonation, même financée à moitié par des subventions, lui coûte trop cher. Poursuivre la décarbonation prévue mettrait en danger la survie même de l’entreprise – et celle de dizaines de sous-traitants. Rien de bien surprenant dans cette issue. La décarbonation est peut-être désirable ; mais elle n’est pas rentable. La rentabilité, c’est le métier d’une entreprise comme Arcelor-Mittal, qui consacre toute son énergie à engager les investissements susceptibles de rapporter de l’argent, et en particulier ceux qui réduisent sa consommation d’énergie. Croire que les militants de l’ADEME savent mieux que ces spécialistes de l’industrie comment améliorer la rentabilité de leurs usines est prendre ses désirs pour des réalités.

Le cas d’Arcelor-Mittal est-il un cas particulier, peu ou pas représentatif ? Le graphique suivant suggère que non. Il représente, pour une vingtaine de pays développés assez comparables, la variation du taux de productivité en fonction de l’effort de décarbonation. Plus un pays décarbonise son économie, et moins sa productivité augmente. A une extrémité, la Pologne, qui décarbonise peu (ou pas), et dont la productivité augmente rapidement ; à une autre extrémité, le Royaume-Uni, qui décarbonise beaucoup, et dont la productivité stagne.

Graphique 1 – Engagement climatique et productivité, 2015-2021, 20 pays développés
Sources : Pour la productivité : Banque mondiale, World Development Indicators, PIB/personnes employées, des variations annuelles moyennes, 2012-2022. Pour l’intensité de l’engagement climatique : Variation relative des rejets de CO2 entre 2015 et 2021, calculée en variations annuelles moyennes, d’après BP Energy Outlook 2023. Note : Pour la productivité comme pour la décarbonation, les données sont des taux de variation annuels moyens.

Il en faudrait plus pour que nos gouvernants renoncent à croire que « la décarbonisation, c’est rentable ». Ils chérissent trop leurs illusions erronées. En novembre 2024, alors que les déficits se creusent, et que les usines licencient, le gouvernement déclare solennellement : « L’Etat reste pleinement engagé aux côtés des entreprises qui souhaitent investir dans leur décarbonisation ». Au moment où les responsables cherchent par tous les moyens et à grand bruit à grapiller un demi-milliard par ci ou par là, le gouvernement décide d’augmenter l’aide aux entreprises qui décarbonisent de 1,6 milliards d’euros, et il inscrit cette augmentation dans le budget de 2025. Errare politicum est, diablicum perseverare.


[1] 1800 millions, dont 850 d’aide publique

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21 réflexions au sujet de « Décarboner, c’est rentable – Absolument »

  1. Le plus grave c’est que la mère Borne n’en est pas à son coup d’essai. Elle s’était vantée d’avoir fermé Fessenheim puis découvre qu’il faut décarboner. On se demande où est la cohérence !
    En tant que polytechnicienne, elle n’a aucune excuse et c’est par pur cynisme qu’elle épouse toutes les idéologies à la mode. L’Histoire retiendra son ambitieux plan vélo.
    Tant que nos dirigeants seront considérés comme irresponsables, nous tomberons de Charybde en Scylla.

  2. Pendant que nos politiques, qui se sont laissé convertir par les adeptes de l’Église de Climatologie, s’achètent un brevet de bonne conduite climatique en imposant une décarbonation aussi aberrante qu’inutile, la Chine et l’Inde ouvrent chacunes deux centrales au charbon par semaine en se fichant pas mal du dogme des Témoins de Zérogaz!!

  3. Je suis un ancien ingénieur du groupe Arcelor. J’ai travaillé à Dunkerque et à Fos. Pour moi, la décarbonation de la sidérurgie est une aberration, pour deux raisons techniques essentielles :
    1/ Le carbone est le constituant réducteur du minerai de fer, un oxyde de formule Fe2O3. Cet élément chimique est abondant dans la nature, soit sous forme fossile (charbon) soit sous forme vivante (bois). En toute rigueur on pourrait utiliser le diamant, qui est du carbone pur, mais c’est un peu cher… Le substitut qu’on se propose d’utiliser pour la réduction chimique est l’hydrogène gazeux H2, qui n’existe pas à l’état naturel et qui est difficile à manipuler. Question coût, on n’est sûrement pas gagnant, même si on évite le diamant.
    2/ L’acier est un alliage de fer et de carbone. Tous les métaux ferreux en contiennent en plus ou moins grande quantité (même les aciers inox dits “bas carbone”). En revanche l’hydrogène dans le métal est un poison à éliminer.

    Bon courage aux ingénieurs qui vont me succéder dans ce métier passionnant mais dangereux (je suis retraité depuis 2002).

    • Comme vous le dites , l’acier est un alliage de fer et carbone .Dans ce cas pourquoi ne pas utiliser le CO2 qui est à foison dans l’air comme “ils”nous le disent à longueur de journée,le stocker et s’en servir pour fabriquer des rails de chemin de fer par exemple ou des charrues pour les agriculteurs ??
      Résultat moins de CO2 dans l’air et plus besoin de leur blabla journalier (ouf on respire enfin).Sans carbone plus de légumes donc ……plus de paysans et plus rien à manger en même temps.

  4. Un fameux directeur de l’Ecole Polytechnique, général de son état, avait reçu en son temps la promotion de l’année par un propos qui ressemblait peu ou prou à ça : « Je vous souhaite la bienvenue et vous rappelle que la proportion de cons est la même partout, en vous faisant remarquer, toutefois, qu’ils sont d’autant plus dangereux qu’ils sont méticuleusement choisis. »
    CQFD…

    • Pour faire suite à votre remarque, lisez un livre écrit vers 1936 par un polytechnicien et qui s’intitule “Propos de Barenton confiseur”. Ce livre contient un grand nombre d’axiomes pleins de bon sens et parfois désopilantes. C’est selon.
      J’en citerai deux :
      1- quelque soit le mode de sélection, la proportion d’imbeciles est toujours la même
      2 – Ce n’est pas au pied du mur qu’on voit le maçon, c’est en heut.

      • @Serge Ferry
        A l’époque de Poincaré l’E.N.A. n’existait pas encore, pas plus que l’Ecole de la Magistrature, toutes deux créées après la guerre. Qu’aurait-il dit de ces deux institutions ?
        La première nous coûte un pognon dingue et a imprégné l’éventail politique alors qu’elle aurait du se limiter à gérer nos administrations dans une stricte neutralité. Son inutilité s’est manifestée avec éclat quand le pouvoir a cru bon de confier la gestion de la crise sanitaire du Covid au cabinet privé Mc Kinsey tandis que les énarques du Ministère de la Santé pantouflaient, ravis d’échapper à la corvée. Mais double peine pour le contribuable…
        Quand à l’Ecole de la Magistrature, scandaleusement gangrenée par le Syndicat du même nom, voici ce qu’écrivait l’ancien Garde des Sceaux du Général de 1962 à 1967, Mr Jean Foyer, dans les colonnes du Figaro au sujet du S.M. comme étant, je cite, “une organisation subversive gauchiste” ayant pour objectif la conquête du pouvoir au sein de l’institution judiciaire…

        • @Jack
          Vos observations sont très justes.

          Avez-vous remarqué ? On parle toujours du Général. Même G. Pompidou, en 1962, disait “le Général”. On ne parle jamais du Président de Gaulle. Il est resté “le Général”.

          Comme il nous manque…

      • @Jean Paul

        -“Ceux qui roulent trop vite sont dangereux mais moins longtemps que ceux qui respectent le code de la route”
        – ” Si votre dernière heure est arrivée, surtout ne lui ouvrez pas !”
        – “Si la Joconde pouvait parler, le musée du Louvre serait vraiment dans la m…”
        – “Quand le pessimiste joue aux échecs, l’optimiste fait des réussites”
        – “Beaucoup de gens adorent s’écouter parler mais peu sont ceux qui en profitent pour s’instruire, c’est vraiment dommage !”

  5. Notre corps contient 18 % ce carbone, cet élément est une brique importante dans toute la chimie organique, sans lui il n’y a pas de vie possible.
    Le CO2 est un gaz important dans le cycle du carbone, il n’a rien à voir dans les variations climatiques naturelles.
    Décarboner est une monstrueuse stupidité.

  6. De grâce, cessons de nous laisser embarquer dans les GES, les émissions, la décarbonation, les filières bas carbone, l’empreinte carbone, etc. Toutes ces absurdités sont un piège sans fin sous une fausse couleur scientifique créé pour nous taxer et enrichir des lobbys, quand ce n’est pas pour détruire notre mode de vie. La contribution humaine au réchauffement climatique est quasi-négligeable par rapport aux forces naturelles. Contentons-nous de nous adapter, ce sera déjà pas mal, nous adapter aux réchauffements comme aux refroidissements à venir d’ailleurs.
    A cet égard le COP 29 semble désormais privilégier pour les Pays En Développement l’adaptation au réchauffement et le développement des ressources propres, c’est plus raisonnable.

    • C’est quand même incroyable que les dinaosaures ont pu amener 4000 ppm de CO2 dans l’atmosphère et provoquer le réchauffement terrestre au Jurassique
      MLA qui a du MAL à comprendre que au MALM cela se soit passer ainsi sans les hommes qui brulaient du fossile

  7. Le problème n’est pas tant le montant faramineux de l’investissement (CAPEX de 2 milliards d’euros), que la non rentabilité de ces nouvelles installations, où le charbon est remplacé par du gaz naturel (ou ultérieurement par de l’hydrogène) et de l’électricité.
    D’ailleurs ArcelorMittal possède une usine de ce genre à Saldanha (Afrique du Sud) : elle est arrêtée “sous cocon” depuis fin 2019 pour cause de non rentabilité (par rapport à une usine avec hauts fourneaux, comme celle à Vanderbijlpark)…
    NB Certains pensent que certains clients accepteraient (ou seraient contraints) d’acheter plus cher de l’acier “vert”, mais on peut douter que les consommateurs finaux suivent…

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