40 000 morts par an : le rapport bidon de Santé Publique France

Rémy Prud’homme

Le débat sur les ZFE (zones à faible émissions), qui visait à interdire les véhicules polluants de pénétrer dans le centre des villes françaises, s’est beaucoup appuyé sur l’affirmation que les rejets polluants desdits véhicules provoquent 40 000 décès par an. Vous vous opposez aux ZFE : vous êtes un assassin, un tueur d’enfants. D’où vient ce chiffre de 40 000 morts annuels ? D’un rapport de Santé Publique France, une agence du ministère de la Santé, publié en 2021 et intitulé Impact de la pollution de l’air ambiant sur la mortalité en France métropolitaine – ci-après : « le Rapport ». Les deux anglicismes du titre ne suffisent pas à faire de ce texte un document scientifique crédible, pour plusieurs raisons.

Les premières concernent la forme. Le Rapport ne ressemble en rien à une contribution scientifique. Il est en fait un rapport administratif. Tous ses nombreux « auteurs » sont des fonctionnaires au service du gouvernement, pas au service de la science. La plupart d’entre eux semblent ne même pas être titulaires d’un doctorat (la deuxième signataire est étudiante en thèse de pharmacie). Ce texte n’a évidemment pas été soumis pour publication à aucune revue scientifique (et aurait à peu près sûrement été rejeté par toutes). Il a été « relu » par des chefs de service, pas par des chercheurs expérimentés (les « pairs »). D’un point de vue scientifique, il fleure l’amateurisme. Certes, il y a parfois des amateurs qui font aussi bien, ou mieux, que des professionnels. Mais le moins que l’on puisse dire est que ces apparences n’inspirent guère confiance. L’analyse du fond du Rapport ne contredit pas cette impression.

Le sujet même du Rapport est mesuré sans être défini.  Qu’est-ce qu’un décès causé par les particules ou le dioxyde d’azote ? Le décès de quelqu’un qui a respiré ces polluants ? A quelle dose ? pendant combien de temps ? Vous et moi avons, comme tout le monde, respiré des particules : si nous mourrons (ou lorsque nous mourrons) dira-t-on que nous sommes tous des victimes des particules ? L’impact, comme ils disent, serait alors égal au nombre des décès – ce qui serait absurde. On ne peut pas mesurer une grandeur sans d’abord la définir rigoureusement : c’est ce que n’esquisse même pas le Rapport.

La méthodologie utilisée consiste à découper le territoire en environ 35 000 carrés de 4 km de côté. Pour chaque carré, on évalue le taux de mortalité des résidents, ainsi que la teneur de l’atmosphère en particules et en dioxydes d’azote (le Rapport n’explique pas très clairement comment cette tâche considérable a été conduite ; admettons qu’elle l’a été de façon efficace). On fait ensuite sur les 35 000 points une analyse de régression simple du type :

Taux de mortalité = f (teneur en particules)

La fonction utilisée est une fonction logarithmique croissante sortie d’un chapeau. La régression produit des estimations des coefficients de cette fonction qui permettent d’évaluer le taux de mortalité à partir des indicateurs de pollution, et donc d’évaluer le nombre de « vies » sauvées par une diminution des teneurs. Cette méthodologie présente de graves faiblesses.

Les résultats obtenus (teneurs en polluants élevées entraînent mortalités élevées) sont en contradiction complète avec les données agrégées fournies par le Rapport lui-même, comme le montre le tableau 1 ci-après. Ce tableau fait apparaître que les teneurs de polluants augmentent avec la taille des communes, ce qui n’est pas surprenant. Mais il montre également que lorsque la taille des communes augmente, et avec elle la pollution, la mortalité n’augmente pas mais, au contraire, diminue. Les communes urbaines, qui sont les plus polluées, sont aussi celles où l’on meurt le moins. Le Rapport nous fournit gracieusement un bâton pour le battre.

L’explication de ce paradoxe est évidente. La pollution de l’air n’est qu’un facteur de mortalité, parmi beaucoup d’autres, tels que le revenu, l’éducation, l’alimentation, les soins médicaux, la structure par âge de la population, etc.  Ce qui pourrait éclairer la contribution de la pollution à la mortalité, toutes choses égales par ailleurs, ce n’est pas une régression simple, mais une régression multiple, du type :

Mortalité = g (pollution, revenu, éducation, soins médicaux, démographie, etc.)

L’erreur de la méthodologie de l’étude est d’utiliser un modèle mono-causal pour expliquer une réalité multi-causale. Erreur grossière. Si le Rapport avait été proposé pour publication à une revue scientifique, et donc expertisé par des chercheurs confirmés, ces derniers n’auraient pas manqué de souligner ce point, et d’émettre un avis négatif à sa publication.

Une autre faute grave du Rapport est la négligence presque complète de la diminution rapide de la pollution de l’air en France. Cette diminution est bien connue, en ce qui concerne les émissions de polluants (notamment grâce aux travaux du CITEPA) et en ce qui concerne les teneurs (notamment grâce aux mesures d’Airparif). Au cours des quarante dernières années, certains des plus importants polluants, comme le SO2 ou le plomb, ont pratiquement disparu, au point de ne même plus être mesurés. Les deux polluants considérés comme les plus dangereux par le Rapport, et sur lesquels il se concentre, sont les particules (PM 2.5) et le dioxyde d’azote (NO2)[1]. En Ile-de-France (selon le Bilan de la qualité de l’air en 2022 d’Airparif), la teneur moyenne de ces deux polluants a diminué de plus de 50% au cours des vingt dernières années. Je ne retrouve pas les chiffres de la période précédente, mais (sauf erreur de ma part) ils sont du même ordre de grandeur, ce qui impliquerait une diminution d’environ 75% au cours des 40 dernières années. Pour ceux qui s’intéressent, à juste titre, aux valeurs extrêmes (potentiellement les plus nocives pour la santé), Airparif a calculé que pour les PM 10, le nombre de Franciliens exposés à un dépassement de la valeur limite journalière a été de 5 millions en 2007, de 3 millions en 2012, de 130 000 en 2017, et … de zéro en 2022. Tout cela signifie que les dommages et les décès causés par la pollution de l’air diminuent rapidement d’une année sur l’autre en France. Si le nombre des décès (quelle que soit la définition du concept) était de 40 000 en 2018, alors il devait être proche de 120 0000 en 1980 – ce qui n’est guère plausible et jette le doute sur l’estimation-phare du Rapport. Cela veut dire aussi qu’en 2025, les 40 000 seraient devenus quelque chose comme 33 000.

On peut enfin reprocher au Rapport des simplifications grossièrement fausses. Elles ne concernent pas tant l’estimation des prétendus décès que les implications que le Rapport en tire. La première est l’égalité : pollution = voiture. En réalité, toujours selon Airparif, en 2015 le transport routier était en Ile de France la cause de seulement 35% des particules 2.5, et de 65% du dioxyde d’azote. Passer subrepticement de « la pollution tue x personnes » à « la pollution causée par la voiture tue x personnes », c’est prendre ses désirs pour des réalités, et multiplier indûment par deux (excusez du peu) les décès liés à la voiture.

La seconde est que le Rapport affiche une prétention prescriptive, et recommande de réduire fortement le transport routier ; il le fait en considérant seulement les gains (ici les décès évités) de la politique préconisée, et donc en ignorant systématiquement les coûts de cette politique. Chez les Dayaks de Bornéo, où il n’y a ni routes ni voitures, les décès causés par le transport routier sont certes inexistants, mais l’espérance de vie à la naissance est d’environ 30 ans. Dans la réalité, faut-il le préciser, la plupart des politiques entrainent à la fois des gains et des coûts.  Comparer les gains avec les coûts, c’est le b.a.-ba de la science de la décision. Ne considérer que les gains (ou que les coûts), c’est de la propagande. Et en l’occurrence, une propagande de bien médiocre qualité.


[1] L’auteur a entendu à la radio un commentateur plus militant que scientifique s’inquiéter et s’indigner (avec talent) de l’évolution des « particules de dioxyde d’azote ».

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9 réflexions au sujet de « 40 000 morts par an : le rapport bidon de Santé Publique France »

  1. Bravo pour ce travail d’analyse, je ne suis pas diplômé de HEC et j’ai tout compris.
    Pour la ministre de la transition écologique, ce devrait être encore plus simple !

  2. A ma connaissance, les PM 2,5 n’étaient pas mesurées par Airparif il y a une trentaine d’années … Pas mesurables ?
    Seules les PM 10 étaient mesurées..
    Par ailleurs, se je me souviens bien, le nombre de morts par la pollution des particules et du dioxyde d’azonte en France est supérieur à celui de l’ensemble du monde calculé (?) par l’OMS….

    • Au début des mesures de la pollution atmosphérique, on mesurait le carbone-suie (particules fines issues de la combustion des hydrocarbures). Depuis une vingtaine d’années (ou plus ?), on mesure les PM10 qui englobent le carbone-suie mais aussi les particules d’autres natures. Dans un bilan annuel pas très ancien (année 2017 ou 2019, voire 2021), Airparif indiquait quand même à titre d’info l’évolution de la pollution au seul carbone-suie (responsable de l’encrassement des façades d’immeubles en ville) : DIVISION par 20 en 30 ans ! Grâce à quoi, les façades d’immeubles urbains n’ont plus guère besoin d’être ravalées de nos jours.

  3. L’argument de l’incompatibilité de la forte diminution de la pollution avec un nombre élevé de décès est simple à comprendre.
    L’évaluation indirecte, par le lieu de résidence, de l’exposition à la pollution est un autre défaut de ce genre d’étude. Exemple : à quel endroit les franciliens sont-ils le plus exposés aux particules fines, chez eux, ou dans les couloirs du métro ?

  4. Merci pour cette analyse. On comprend mieux ce qui amène ce chiffre et on comprend mieux encore pourquoi il est aussi différent de celui qui ressort d’autres sources qui ont certainement utilisé des données françaises (lesquelles?) : 17000 pour la France selon l’OMS, chiffre qui n’est pas incohérent avec les 50 000 Européens entendus par ailleurs, 13000 selon des sources médicales….
    Et si les ZFE avaient été maintenues, combien de vies auraient été sauvées? S’il y a une étude là dessus, elle doit être brigrement complexe, mais intéressante. Peut on imposer telle mesure si on est incapable d’annoncer un objectif de gain?
    Le parallèle me semble frappant avec celui des 80 km/h sur route: Un gain annoncé de 400 à 800 vies par an, une étude (la quelle?) que je n’ai pas pu trouver, un bilan à 1 ou 2 ans très très en deçà bien que grossièrement truqué, et un abandon dans plus de 50% des départements.
    Espérons que la réduction des dépenses publiques inutiles ou nocives passera par ces agences et leurs études bidon

  5. Les chiffres que l’on entend partout semblent oublier que ce n’est pas la bonne question. Celle-ci devrait être quelle augmentation d’espérance de vie si la pollution diminue, Car on évitera jamais le 48000 ou 40000 ou 11, on ne fera au mieux que repousser leur décès.

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