La zoologiste Susan Crockford expulsée de l’université de Victoria

Par Donna Laframboise

Donna Laframboise est blogueuse sur BigPicNews.com. L’article original paru le 16 octobre dans le Financial Post. a été traduit avec l’aide précieuse de Camille Veyres.


Une experte de renommée mondiale dans le domaine de l’identification des os d’animaux a perdu son poste à l’université de Victoria, en Colombie-Britannique, pour avoir expliqué à des écoliers des faits politiquement incorrects sur les ours blancs.

Susan Crockford à l’Université de Toronto en 2012.

La zoologiste Susan Crockford est régulièrement embauchée par des biologistes et des archéologues, au Canada et à l’étranger, pour identifier les restes de mammifères, d’oiseaux et de poissons. Elle a aidé à cataloguer les collections des musées et assisté la police pour effectuer des analyses médico-légales. Pourtant, les étudiants de l’université de Victoria ne bénéficieront plus de son expertise, et son droit à solliciter des subventions de recherche lui a été supprimé en catastrophe. En mai, le Département d’anthropologie lui a retiré son statut de professeur auxiliaire, la privant ainsi de son affiliation universitaire.

Susan Crockford décrit son expulsion comme « une pendaison académique sans procès, menée à huis clos ». Après avoir été renouvelée à l’unanimité en 2016 pour un mandat de trois ans, son statut de professeur adjoint n’a pas été renouvelé pour les trois années à venir.

Susan Crockford tient un blog populaire, polarbearscience.com, et a écrit cinq livres sur les ours polaires. Son livre Faits et mythes sur l’ours blanc, a été traduit en quatre langues. Selon elle, contrairement à ce que prétendent les écologistes, les ours polaires prospèrent, et les changements climatiques ne les menacent pas d’extinction.

Il semble qu’informer le public sur ces simples faits soit désormais inacceptable pour l’université de Victoria.  Après 15 ans de bons et loyaux services, Susan Crockford a été informée en mai qu’un comité interne de promotion et de titularisation (ARPT, Appointment Reappointment Promotion and Tenure) avait « voté contre le renouvellement de [son] statut d’adjoint ». Aucune raison ne lui a été donnée. C’est seulement maintenant, après avoir subi une opération de la hanche, qu’elle a choisi de rendre publique cette affaire.

Contacté par le National Post, le porte-parole de l’université de Victoria, Paul Marck, a refusé de dire combien de personnes siégeaient au comité de l’ARPT, combien ont voté contre Susan Crockford, et combien étaient des zoologistes capables de juger de sa compétence.

Le poste de professeur adjoint n’est pas rémunéré. Il offre un rang universitaire officiel et un accès complet aux services de recherche de la bibliothèque, en contrepartie des prestations telles que le mentorat d’étudiants, la participation à des comités de thèse et quelques cours. Lorsqu’il lui fut demandé quelles mesures de protection garantissaient que les adjoints ne pouvaient pas être excommuniés simplement parce qu’ils exprimaient des idées « impopulaires », le porte-parole a refusé de répondre, invoquant la législation provinciale sur la protection de la vie privée. Selon lui, l’université ne divulgue pas « d’informations sur les processus internes… Nous devons respecter le droit à la vie privée de tous les membres de notre communauté universitaire. »

Dans ce cas, l’université ne protège pas le droit à la vie privée de Susan Crockford, mais se sert d’un écran de fumée pour protéger les membres d’un comité qui ont décidé d’expulser un professeur adjoint, sans justification.

En l’absence de toute autre explication plausible, Susan Crockford estime qu’elle a été renvoyée pour ne pas que soit relayée son avis sur les ours polaires et les questions connexes liées au changement climatique. Il s’agit de l’empêcher de continuer à pousser dans leurs retranchements les activistes universitaires qui prétendent que les populations d’ours blancs subissent une crise.

G. Cornelis van Kooten, professeur d’économie à l’université de Victoria et titulaire d’une chaire du gouvernement canadien en études environnementales, se dit « consterné et affligé » par l’expulsion de Susan Crockford.  Depuis quand, demande-t-il, « les universités s’opposent-elles à un débat ouvert ? Il y a maintenant un climat de peur sur le campus. »

L’université est un lieu de travail où il faut « publier ou périr « , et Susan Crockford est une universitaire accomplie. L’an passé, elle a été coauteure d’un article paru dans la revue Science, l’une des revues scientifiques les plus prestigieuses du monde. Peu de professeurs, quel que soit le campus, ont leurs travaux qui y sont publiés. Interrogé à ce sujet, le porte-parole de l’Université de Victoria a là encore refusé de dire au National Post combien d’autres professeurs de l’université avaient récemment publié dans une telle revue.

Susan Crockford n’est pas tout à fait surprise de son expulsion, car le Bureau des conférences de l’université l’avait déjà empêché une fois de s’exprimer. Durant une bonne part de la dernière décennie, elle avait pu donner des conférences non rémunérées à des élèves du primaire et du secondaire, ainsi qu’à des groupes d’adultes. L’une d’elles portait sur les origines précoces des chiens domestiques. Une autre s’intitulait Les ours polaires, survivants exceptionnels du changement climatique.

Tout indique qu’elle était une conférencière appréciée. Mais en 2017, Mandy Crocker, coordonnatrice du Bureau des conférences de l’université, l’avait avisée d’un changement de politique. Le directeur du département d’anthropologie devait maintenant confirmer que Susan Crockford était « en mesure de représenter l’université » lorsqu’elle discutait de ces sujets.

Dans sa thèse soutenue en 2004, Susan Crockford a ouvert de nouvelles voies pour comprendre les mécanismes par lesquels les loups se sont transformés en chiens domestiques. Pourtant, treize ans plus tard, Ann Stahl, la présidente du département d’anthropologie, lui a interdit d’en parler au public en tant que représentante de l’université. En avril 2017, Ann Stahl l’a ainsi prévenue : « Je n’appuierai pas votre demande d’inscription sur la liste du Bureau des conférenciers pour 2017-2018. » Tout en admettant qu’elle ne pouvait pas l’empêcher de parler ailleurs en tant que simple citoyenne, elle lui a imposé une interdiction de parler « en tant que représentant l’université de Victoria« .

Ann Stahl affirme respecter « les questions de liberté académique« . Le problème serait que les conférences de Susan Crockford dans les écoles auraient « suscité des inquiétudes chez les parents quant à la mise en perspective et l’équilibre entre différents points de vue« , une préoccupation qui aurait « été partagée à divers niveaux de la direction de l’université ». Ann Stahl n’a pas répondu à une demande d’interview formulée par le National Post.

C’était là la première fois que Susan Crockford était informée d’un problème. Personne du Bureau des conférenciers ou du Service d’anthropologie ne l’ayant jamais avisée d’une plainte, on ne lui a jamais donné l’occasion de s’expliquer dessus.

Le Bureau des conférenciers trouve ses bénévoles dans le corps professoral, le personnel, les étudiants diplômés et les retraités de l’université. Les postulants conférenciers remplissent un formulaire sur le site internet, qui ne mentionne pas la nécessité d’une approbation par les départements universitaires. Rien n’indique que les présentations doivent être équilibrées entre les différents points de vue, et bon nombre des présentations semblent être ouvertement politiques.

Par exemple, Jason Price, professeur associé en Social Studies, donne cette année une conférence intitulée « L’éducation et la Révolution : le changement climatique et le Curriculum de la vie » à des élèves dès la maternelle. Patrick Makokoro, un étudiant diplômé de l’université de Victoria, fait quant à lui des présentations sur la « justice sociale », à un public de jeunes d’à peine 10 ans.

Dwight Owens, un employé d’Ocean Networks Canada (une entité affiliée à l’université de Victoria), n’a aucune formation scientifique. Son diplôme de Bachelor of Arts est en langue et littérature chinoises, et sa maîtrise en technologie de l’éducation. Néanmoins, avec la bénédiction du Bureau des conférenciers de l’université, il donne depuis des années des conférences sur « La chimie des océans et le changement climatique ».

Le National Post a demandé au porte-parole de l’université combien de personnes se sont vues refusées de participer au Bureau des conférenciers, et quels mécanismes sont en place pour filtrer les présentations sur des sujets controversés. L’intéressé a refusé de répondre. Le coordonnateur du Bureau des conférenciers, M. Crocker, a lui refusé d’être interviewé.

Contactés par le National Post, des membres actifs et des anciens du corps professoral de l’université ne sont au courant d’aucun processus de filtrage. Par conséquent, rien ne prouve actuellement que même les étudiants diplômés inexpérimentés auraient besoin d’une autorisation pour « représenter l’université« . Cette exigence semble avoir été inventée uniquement pour réduire au silence Susan Crockford, pourtant éminemment qualifiée et hautement expérimentée.

Parce que son message sur les ours polaires dément la rhétorique activiste, et parce que des militants se sont visiblement plaint aux administrateurs, sa carrière de chercheuse universitaire vient de connaître une fin brutale. Jeffrey Foss, ancien président du département de philosophie de l’Université de Victoria, explique que, Susan Crockford ayant été punie pour avoir dit ce qu’elle pensait sur des faits, il lui a en réalité été refusée la liberté académique et la liberté d’expression. « Je commence à perdre foi et espoir dans le système universitaire« , se lamente-t-il.

En donnant des conférences à des élèves du primaire, Susan Crockford a toujours été « étonnée d’apprendre que les enseignants croient qu’il ne restent que quelques centaines à quelques milliers d’ours blancs« . Elle se fait donc un devoir, en tant que scientifique, de prendre la parole pour signaler que la population mondiale est officiellement estimée entre 22 000 et 31 000 ours, et que celle-ci pourrait même être beaucoup plus élevée. « Je parle à mes auditeurs des capacités d’adaptation des ours polaires, qui leur permettent de survivre aux changements dans leur habitat arctique« , explique-t-elle.

Cette semaine, Susan Crockford entamera une tournée de conférences dans cinq pays européens. Les auditoires d’Oslo, de Londres, de Paris [NdT : ce sera mardi 29 octobre, les renseignements sont ici], d’Amsterdam et de Munich l’entendront parler de ses recherches, évalueront ses arguments et tireront leurs propres conclusions.

L’université de Victoria doit expliquer pourquoi elle a permis à un comité interne de décider secrètement d’expulser et de punir une chercheuse de renommée internationale, sans autre raison connue que le fait que certains accusateurs inconnus ne sont pas d’accord avec son point de vue.

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